XIV. Une double bombe.

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Ce détours en valait le coup !

Pistolets en mains, nous nous dirigeons vers l’arrière boutique. Des pistolets. Ça me semble si naturel d'en tenir un. Samuel tient sa bombe de fumé, juste derrière moi. Tout s’enchaîne si vite qu’il m’est impossible de savoir avec certitude dans quel ordre se sont déroulés les événements.

Je revois Adrien défoncer la porte, Samuel y jeter sa bombe, ensuite c’est flou. Des flash. Des coups de feu. Des cris. Beaucoup de cris et des mares de sang.

Je crois que j’ai tué un homme. Je crois que c'est son sang qui tâche mon pantalon. Je crois que mes mains ne trembleront plus jamais comme elle le font en ce moment.

J’assimile encore difficilement ce qu’il vient de se passer. Ce que l'on vient de faire. Ce que JE viens de faire. Je serre l’arme dans ma main, il semble loin le temps de la barre en fer. Le temps du stylo bic et de la feuille à carreaux.

Merde, j'ai envie d'une clope. Mon regard croise celui de Victor. Mauvaise idée la clope au bout du compte...

Alice est assise, dans mes bras, au beau milieu du rayon papeterie. Je tente de remettre de l'ordre dans mon esprit en humant ses cheveux.

Le sol est couvert de poussière, de terre et de sang. Il faut trouver les autres, il faut les trouver, il le faut, cette pensée me revient en boucle sans que je puisse bouger.

Après quelques minutes j’entends la voix de Charlotte, suivie de dizaines d’autres. Adrien est allé les chercher. Je n'ai même pas la force de demander où ils étaient, s'ils vont bien. Je n’ai même pas pris le temps de leur demander leurs noms. Je décide de le faire.

Ils semblent surpris que je le leur demande. Ils devaient s'attendre à un "comment ça va ?" tout affolé. Mais ils me répondent tout de même.

Ce qui fait donc : Charlotte, Théo, Paula, Tonny, Marina, Chloé, Théodore, Pierre, Malia, Ethan, Charline, Adeline, Phillipe, Clément, Sarah, Killian et Joey. Sans oublier Samuel, Adrien, Alice et Victorien.

Victorien. Je ne crois pas l’avoir déjà appelé de la sorte. Tout le monde l'appelle Vic', certains doivent même penser que c'est son vrai nom...

Ce sentiment étrange quand on entends enfin le prénom d'une personne après n'avoir toujours entendu que son surnom.

Moi je l'appelle Victor. Juste parce qu'il n'aime pas ça. Oui, c'est nul. Mais c'est comme ça. C'était quand notre relation était plus... Enfin, moins... Laissez tomber.

Ah et si je l'appelle comme ça c'est aussi car je suis née la Saint Victor. Un jeudi, pendant une coupure d'électricité. Mais ça c'est autre chose...

Enfin. Finalement, c'est un peu comme le premier jour dans une nouvelle classe, apprendre le nom de ces inconnus, savoir les différencier, apprendre à les connaître petit à petit et s’entendre juste assez pour pouvoir vivre ensemble sans s’entretuer. Ce qui, vu les circonstances, serait assez idiot. Savoir que -d’ici quelques temps- ces inconnus deviendront peut-être nos meilleures rencontres. Comme pour Océane ou Charlotte -ou Catty- ne pas y penser... Ces gens, l’impacte inattendu qu’ils ont eu, qu'ils auront, sur nos vies.

Ces retrouvailles ne sont pas comme je l'espérais. Personne n’a vraiment sourit. Il n’y a eu aucune de ces grandes démonstration d’affection -comme dans les films-. Non. Nous sommes trop perturbés pour cela. Un silence pesant plane dans le magasin. L’odeur de la mort nous coupe toute envie de joie. Les corps de ces quatres hommes gisent au sol.

Nos vies ont changé si vite, trop vite. Passer d’un simple contrôle d’anglais à une fusillade meurtrière. Je donnerais tout pour retourner en cours, me poser devant une copie et répondre à des questions. Même s’il y a un million de questions ! Même si elles sont d’un niveau universitaire !

C’est fou comme les événements peuvent changer notre façon d’appréhender le monde qui nous entoure.

Un jour c’est la chose la plus importante du monde, et l’on ne s’imagine pas vivre avec une autre idée en tête ; et le lendemain c’est fini. On en vient à se demander comment cette chose à pu avoir -un jour- autant d’importance pour nous.

Comme lorsque l’on perd un ami, pas un simple ami. Le meilleur. Lorsque tu t’imaginais un avenir auprès de cette personne et que celui ci disparaît.

Alors que je serre Alice dans mes bras, certains commencent à remarquer sa petite présence au sein de notre groupe. Ethan s’approche sans aucune gène, ils ont presque le même âge, j’espère qu’elle sera bien accueillie. Elle se lève prudemment pour aller jouer avec Ethan et rencontrer sa mère. Une mère. Il lui en faudrait une. Il nous en faudrait une à tous tous. La nôtre. La mienne. Elle me manque.

Tout me manque. Mon putain de réveil matin qui sonnait vingt fois avant que je me lève enfin, mon stupide chat et ses envies meurtrières, l’odeur de bébé qui émanait de la chambre de ma soeur... Ses caprices, ses calins. Même l’horrible grincement de la porte d'entrée me manque ! Comment ça peut me manquer ?

Ils sont tous comme moi. Ils pensent aux gens qu’ils aiment, passent leurs souvenirs en revue, tous, même les plus anodins. Pour ne pas oublier. Pour ne jamais oublier.

Ils se disent que c’est fini, qu’ils ne vivront jamais plus comme avant. Ils ont raison… Tout ça, toute notre vie est derrière nous.

Nous ne retrouverons jamais nos vies d’avant. Nous allons devoir apprendre à vivre dans ce monde. Je…

Mon corps ne répond pas. C'est quoi encore ce plan foireux à deux balles ?

J’ouvre à peine les yeux, de la fumée recouvre le sol, une épaisse fumée grise ; mes oreilles sifflent. Cette explosion nous a tous projetés au sol, c’était d’une puissance incomparable à la petite bombe de fumée de Samuel. Minute. Une bombe !

J'essaie de me repérer mais je n’arrive plus à me situer dans l’espace. J’entends des gémissements, des cris étouffés. Je n’arrive pas à bouger mes jambes.

J'ai l'impression d'avoir été victime du venin du Kalima ! Putain pourquoi je pense à Teen Wolf dans cette situation ? En plus les acteurs de la série sont sûrement tous morts à l'heure qu'il est ! Oh non ! Pas Dylan O'Brian !

Mais putain de bordel de merde, Erika concentre toi ! Arrête de penser à de la merde ! J'essaie de me concentrer mais en vain.

Ma tête me brûle, comme si un marteau me frappait sans relâche, encore et encore, de plus en plus fort. Je le remarque enfin.

Je n’y avais pas prêté attention plus tôt, je ne l’avais pas entendu. Quelle idiote ! Comment ai-je pu ne PAS l'entendre ?

Le bruit du moteur.

ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant