Le temps s'était figé. Personne n'osait le briser d'un mot, d'un souffle. Nous restâmes muets devant les corps de nos camarades ; à l'exception de Rufus qui balbutia quelques syllabes incohérentes avant de tourner de l'œil. Ils ressemblaient à tous les autres cadavres, mais ceux-là avaient dans leurs bagages la hargne restante après le combat. L'affrontement avait à peine duré quelques minutes et pourtant, il me semblait avoir passé une existence à les observer. Mon cerveau grésillait comme un tourne-disque défectueux. L'ascenseur de l'espoir nous avait balancés à plusieurs mètres de hauteur, et nous nagions encore parmi les débris. Une aura de désespoir, épaisse bien qu'invisible, semblait responsable de l'immobilité collective.
Atlan ne bougeait pas. Pas un mouvement, même minuscule. Rien. Une flaque couleur rubis se formait lentement mais sûrement au niveau de sa blessure. Elle semblait réfléchir nos propres visages déformés par toutes les émotions ; tordus d'un rire aussitôt figé en expression d'horreur. Elle se moquait de nous, elle, et sa teinte caractéristique. Ne nous rappelant que trop combien la vie était fragile dans la zone.
Bianca fut la première à esquisser un geste. Elle avait arraché un morceau de sa chemise, la rendant encore plus indécente, et le maintenait sur sa plaie au genou.- Vous attendez quoi, le dégel ? cracha la blonde. Si vous voulez qu'il crève pour de bon, continuez comme ça, bande de sado-masos !
Ses paroles nous firent l'effet d'un électrochoc, et, enfin, nous prîmes conscience de la situation. La moindre seconde pouvait être fatale ; et nous étions déjà trop longtemps restés sans rien faire. J'accourus vers le corps, talonné par Ben et Capucine.
- On le monte à l'infirmerie, ordonna la brune. Ben, prend les bras. Caleb, aide-moi.
Elle attrapa l'une des chevilles du brun, tandis que je saisissais la deuxième. Le métis glissa ses bras sous les aisselles d'Atlan et le souleva sans trop d'efforts.
Le t-shirt du brun était trempé de sang au niveau du ventre. Qui sait s'il tiendrait le coup jusqu'au troisième. Oh, pourquoi fallait-il que l'infirmerie soit si loin ? Il avait l'œil entrouvert, mais son regard papillonnait dans le vide. Atlan semblait conscient, mais pourtant, il ne l'était pas. Sa tête penchait d'un côté, puis de l'autre, ballottée au gré de nos pas rapides. Nous gravîmes les escaliers aussi vite que possible. Le sang gouttait par intermittence, créant un véritable chemin écarlate derrière nous. Quant à sa blessure à l'œil... je ne voulais même pas y penser ; mais je ne pus m'empêcher d'y faire attention. La paupière semblait tranchée net en son milieu, comme par un coup de lame. L'orbite avait dû également être perforée. La plaie ne saignait plus, mais avait déjà maculé d'hémoglobine la moitié du visage d'Atlan.
Je hurlais mentalement « tiens le coup, s'il te plaît, accroche-toi ». Il allait vivre. Il devait vivre. A cet instant, j'aurais donné ma vie pour la sienne. Je brûlais d'envie de le secouer, de lui hurler de se battre ; de s'accrocher à la moindre étincelle d'espoir. Et pas seulement moi. Les autres avaient besoin de lui, de son intelligence pour sortir d'ici.
Bianca nous suivait, boitant dans les escaliers, la respiration sifflante. Sa blessure la faisait encore beaucoup souffrir, mais ses yeux étincelaient d'une lueur déterminée. Et enfin, nous arrivâmes au troisième étage.
Yukie et Bianca se précipitèrent vers le lit où nous avions déposé Atlan. Elles parlaient vite ; le stress rendait leurs voix suraiguës. Capucine les saisit chacune par une épaule et leur glissa quelques mots. Ils durent faire leur effet puisque les jeunes filles se calmèrent. La brune me jeta un dernier regard avant de sortir. Ben me tapota le bras puis la suivit.
- Caleb, entama Yukie. Il vaudrait mieux que tu...
- Je reste, dis-je d'une voix blanche.
Le ton employé ne laissait pas place à l'hésitation. Je ne quitterai pas cette pièce tant qu'Atlan ne se serait pas réveillé. Tant que je n'aurais pas entendu sa voix. Tant que son unique œil ne m'aurait pas fixé. Bientôt, les filles se mirent au travail. Elles faisaient des allers-retours d'une célérité incroyable entre les placards et le corps. Elles hésitaient, parfois, mais Bianca semblait maîtriser la situation et ses mains ne tremblèrent qu'à peine lorsqu'elle dut s'occuper de la plaie.
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MURDER PARTY (terminée)
Misterio / Suspenso« Si vous voulez sortir d'ici, il vous suffit simplement de commettre un meurtre. » Telles furent les paroles d'Hologramme, le terrifiant maître du jeu. Caleb ne se souvient de rien. Lorsqu'il se réveille dans un endroit inconnu, il met un moment à...