46 - Tirer les rideaux

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Il fallut quelques instants à mon cerveau pour faire la mise au point sur ce qui s'apparentait être son cadavre. Mon inconscient savait très bien qu'il appartenait à Atlan, que le brun était mort ; définitivement perdu. Mais je ne pouvais me résoudre à cette idée. Ce n'était pas possible de l'avoir confondu avec quelqu'un ? Non, non, il n'était pas mort, il bougeait. Il allait bouger. Il devait bouger. Mes pensées se perdaient en incohérences à mesure que les secondes défilaient. Je m'agenouillai à côté du corps, lui saisis la main valide. L'autre demeurait désormais inerte, ne ressemblant plus qu'à un amas de chair sur le sol. Je le suppliai mentalement d'avoir un spasme, un geste, aussi infime soit-il, qui puisse me confirmer sa vitalité. Le choc laissait place à un semblant de déni. Mes émotions me paraissaient étouffées dans un océan de coton. Mes membres ne répondaient qu'une fois sur deux. Parfois, je me surprenais à essuyer mes larmes sans en avoir donné l'ordre à mon bras. D'ailleurs, je ne savais plus ce qui brûlait le plus : les torrents salés qui s'étaient formés au coin de mes yeux et semblaient intarissables, ou la fumée, toujours plus dense, qui commençait à rendre l'air irrespirable. Une sorte de brume grisâtre s'échappait de la trappe restée béante, comme sortant de la bouche d'un dragon que l'on aurait réveillé.


Je ne voulais, non, je ne pouvais pas y croire. Je lui en voulais terriblement, mais comment être rancunier face à un cadavre ? Et cette lettre... ce dernier mot qu'il m'avait laissé avant qu'on ne l'assassine... Atlan voulait s'expliquer. Cette conclusion m'apparut comme une évidence, alors même que mon regard croisait le sien, plus blanc que bleu. La mort lui donnait le même aspect blasé qu'à son habitude ; un instant je me perdis à croire qu'il allait réapparaître comme un zombie, et tant pis si la mort l'avait piétiné, il se relèverait, comme il l'avait fait suite à son combat contre Emi. Mais non. Isaac serait mort juste après notre dernière dispute ; il emporterait une part de la vérité, sans doute, mais m'en avait apprit un morceau.

Peu importe par quel chemin j'empruntai pour faire face à la situation. La vérité et sa grande faux invisible me taillada au passage. Atlan avait été tué par l'une des cinq personnes restantes. Parmi ceux que je considérais comme mes plus proches amis, l'un avait commis l'irréparable. Je me revis quelques semaines auparavant, dans les toilettes du sous-sol, pleurant à seaux sur le cadavre de Kitty. Mes camarades m'auraient décidément enlevé les personnes auxquelles je tenais le plus. Mais si le procès de Flora n'avait été qu'une vengeance crève-cœur, muée en une horreur collective face à la situation et rythmée par la folie naissante de Jack... Désormais, tout avait changé. Je connaissais parfaitement les suspects qui allaient me faire face. Parfaitement ? Non ; l'un d'eux dissimulait un crime abject que je devrais démasquer. Je m'en faisais le serment. Hors de question que le meurtrier d'Atlan sorte en l'ayant tué lui.


Je me trouvais étrangement calme face à la situation. Mes doigts se crispèrent sur la main du brun. La rigidité cadavérique n'avait pas encore commencé, mais le corps refroidissait à une vitesse hallucinante. Les émotions ne semblaient toujours pas m'atteindre, retenues prisonnières dans la marée cotonneuse qui m'entourait. Je pleurais sans vraiment m'en rendre compte. Les larmes dévalaient mes joues, trempaient ma chemise par endroits, mais aucun soubresaut ne vint agiter mes épaules. Je pleurais par principe.

Des pas précipités dans les escaliers comblèrent le silence, et me sortirent de la transe dans laquelle je semblais plongé. Je pris conscience de ma position, de la situation, de tout. Une vague de panique chassa l'indifférence. J'étais là, assis à côté du cadavre, sa main dans la mienne, et la chemise tâchée de son sang. Je connaissais cette peur. L'angoisse d'être soupçonné d'avoir tué la personne à laquelle je tenais le plus à ce moment-là. Kitty. La nuée de regards braqués sur celui que j'étais avant me revint en mémoire comme un cauchemar. Mais à ce procès, la majorité de mes camarades encore en vie m'avait défendu. Tous, excepté Jack.

MURDER PARTY (terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant