Chapitre 1 - Félix

4.6K 332 38
                                    


Le soleil vient de se lever sur Séoul et je suis allongé au milieu du jardin de ma grand-mère, les yeux levés vers le ciel. J'imagine que mes parents sont en train de me regarder de là-haut. Je ris en voyant ma mère donner des coups de coude à ses amis pour qu'ils me saluent. Elle rameute la foule, exagérément fière de sa progéniture. J'entends mon père la gronder parce qu'elle ne l'a pas appelé en premier tandis qu'il bouscule les autres pour mieux voir.

Au loin, les cloches sonnent, et je ferme les yeux. Plus longtemps je garderai les paupières closes, plus longtemps le monde restera tel que je le rêve et mon illusion perurera. Tant que je ne les rouvre pas, je pourrai continuer m'imaginer que je suis simplement en vacances chez ma grand-mère, que ma mère et mon père dorment encore ...

Soudain, je sens une main me tapoter l'épaule. Le coeur tressautant dans ma poitrine, je me redresse précipitamment en position assise.
- C'est l'heure de prendre ton petit déjeuner mon chéri.
Ma grand-mère m'observe, le front plissé sur des lunettes rondes. Elle me dévisage toujours, aussi je me force de sourire.
- Félix, lève-toi et viens manger.
Quand elle parle en coréen, ses phrases gardent des intonations typiquement anglaises. Cela fait cinquante ans qu'elle vit ici.
- Je n'ai pas faim, granny.
- Accompagne au moins ta vieille grand-mère. Je t'emmène dans un café.

Je ne suis pas sorti depuis mon arrivé à Séoul, il y a un mois, et n'ai absolument aucune intention de changer cet état de fait.
- Pitié, bougonné-je, sans bouger d'un centimètre. Et d'abord, tu n'es pas vieille, tu ne le seras jamais.
Elle replace son collier correctement, capture puis rattache une mèche qui a eu le malheur de s'échapper de son chignon blanc.
- Je te laisse quinze minutes pour te préparer.
Il ne faut pas se fier à son apparence de "petite mamie anglaise". Il faut dire que la vie n'a pas toujours été tendre avec granny. Elle a perdu quasiment toutes les personnes qui lui étaient chères : ses parents lorsqu'elle avait onze ans, son mari il y a vingt ans, et dernièrement sa fille unique ... Ma mère disait que, face aux malheurs, il y a deux options : soit on coule à pic, soit on se forge une armure, et que ma grand-mère avait opté pour la seconde.

Dommage que je ne tienne pas d'elle.

Un quart d'heure plus tard, à la seconde près, granny se trouve au volant d'une voiture carré. Je marche, ou plutôt je traîne mes Vans usées, jusqu'à la portière passager, déjà ouverte.

Ma grand-mère m'enveloppe d'un regard qui en dit long, et qui remonte de mes pieds jusqu'au sommet de ma tête. Elle désapprouve visiblement mon jean déchiré aux genoux, tout autant que ma coiffure, des cheveux encore mouillés qui tombaient sur mon front.

Granny émet finalement un profond soupir, avant de se décider à démarrer.

N'étant pas encore habitué à la conduite de ma grand-mère, je m'agrippe bêtement à mon siège, avec l'impression que chaque voiture qui déboule en sens inverse va nous percuter.

Des étudiants déambulent partout à vélo, leur sac de cours accroché sur le porte-bagages. Il y a peu de voitures ou d'engins motorisés dans le quartier. De toute façon, à quoi pourraient-ils bien servir ? Les universités sont proches les unes des autres, on ne peut pas faire deux pas sans tomber devant l'une d'entres elles. Parfois, je me demande si des gens autres que des universitaires habitent dans le coin. Ils ne doivent pas s'y sentir à leur place, en tout cas, un peu comme moi.

Dédaignant le quartier de Hongdae, granny prend une petite rue sur la gauche et se gare devant un minuscule café à la devanture vitrée, rempli d'habitants du quartier à en juger par leur tenue décontractée et leur jeunes âges. Certains sont sur leur téléphone, d'autres bavardent. Je ne parviens pas à imaginer ma grand-mère dans un endroit aussi bruyant et respirant à ce point la masculinité.
- C'est ton café habituel ? Demandé-je
- Oui. Pourquoi, cela t'étonne ? En réalité, c'est un secret bien gardé. Ici, on sert le meilleur Américano glacé de Séoul. J'y viens par pire gourmandise. Et par amitié, aussi.

Je m'apprête à avancer une excuse banale - mal de tête, brusque coup de fatigue pour ne pas descendre du véhicule, mais ma grand-mère m'a déjà ouvert la portière. En un mois seulement, elle connaît déjà par coeur mon pauvre éventail de ruses.

Nous nous frayons un chemin entre les tables bondées, sous les coups d'oeil interrogateurs de certains clients.

Ce n'était vraiment pas une bonne idée, pensé-je.

- Bonjour Helen, s'exclame chaleureusement une voix de femme, dans le fond de l'établissement. Deux cafés?

Le visage de ma grand-mère s'éclaire.

- Oui, deux, merci Taeyeon, dont un spécial pour mon petit-fils, dit-elle en insistant bien sur le dernier mot afin que tout le monde l'entende.

Taeyeon nous conduit à une table niché dans un coin, près de la porte de la cuisine. Au moins, je suis heureux de me retrouver un peu à l'écart des autres clients.

- Bonjour Félix. On m'a beaucoup parlé de toi, tu sais !

Taeyeon dépose deux cartes

- Vous serez tranquilles, ici. Je vais vous envoyer Jisoo et vos Américanos. Ce sera prêts dans un instant.

D'un mouvement du menton, granny m'invite à m'asseoir dos au mur. Elle s'installe en face de moi, avant de rouler et de dérouler le menu entre ses doigts, les nerfs manifestement à vif. Je me demande ce qui la rend aussi fébrile. La propriétaire disparaît derrière la porte battante, et une bouffée d'air chaud m'apporte des odeurs de cafés.

Ma grand-mère repose le menu, qu'elle a sérieusement malmené.

- Félix ... Je souhaiterais d'abord te parler de tes études ... Je sais que tes parents, enfin, que ta mère voulait que tu les continues le plus longtemps possible. En juin tu n'as pas pu passer ton bac, à cause de ... leur disparition. Mais nous sommes désormais en octobre, et ...
- Ils n'ont pas disparu, la coupé-je, mordant. Et arrête de me parler de maman. Je sais ce que tu essayes de faire. Tu penses que, si tu me parles d'elle, je vais finir par admettre sa mort et celle de papa. Mais ça ne marche pas.

Elle soupire brièvement.

- Alors, parlons de toi, tu veux bien? Tu te lèves vers midi et te recouches à vingt heures. Entre les deux, tu restes assis sur le canapé, les yeux dans le vague, ton appareil de musique sur les oreilles. Et, ce matin, je te trouve allongé dans l'herbe en caleçon!

Comment lui expliquer ? Comment lui dire que le sommeil est la seule chose qui m'apaise ? Qu'il m'apporte l'oubli. Que des des gestes aussi que de me lever, me doucher, m'habiller me parait insurmontables.

Je suis resté recroquevillé sur moi-même comme un animal blessé pendant un temps infini, mon oreiller coincé entre mon centre et mes genoux, à me bercer - rien n'y faisait. Alors je me suis rué, à moitié nu, dehors pour prendre l'air, essayer de calmer la crise.
Mais ce sont des choses impossibles à raconter. J'ai trop peur d'être en train de devenir fou.

Une version plus jeune de Taeyeon arrive avec une cafetière et deux mugs. Brune, le teint clair et un visage avenant. Je lui donne à peu près mon âge, dix huit ans, ou légèrement moins.

- Le lait et le sucre sont sur la table, dit-elle en me considèrent avec curiosité. Tu es Félix ? Salut, moi c'est Jisoo.

J'opine du chef, peu encline à engager la conversation. Si ma grand-mère a insisté pour me conduire dans ce café aujourd'hui, c'est peut être pour que Jisoo et moi nous rencontrions ? Elle n'arrête pas de me dire que ce n'est pas bien de rester seul.

Je laisse Jisoo repartir vers de clients plus affables.

J'ignore si je serai capable de dire à ma grand mère ce que je resens avec des mots. Mais je sais que je dois faire quelque chose, pour ne pas perdre la raison.


FIN DU PREMIER CHAPITRE. 1377 mots.
On commence doucement, ne vous inquiétez pas la suite arrive bientôt

J'ai une chaîne youtube aussi, je vous invite à me suivre le lien est dans ma bio (ça concerne la corée du sud, la kpop,etc) N'hésitez pas à me suivre sur instagram : jeanne_dounia et à m'envoyer un petit message ça me fais trop plaisir de vous répondre 💗

  Jeanne.

Pierre, Feuille, Ciseaux - ChanglixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant