Epilogue - 1 an plus tard

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Comme toujours lors des soirées de vernissage, la galerie d'art de Séoul est en effervescence. Vêtu d'un costume Yohji Yamamoto offert par sa mère, Changbin a la tête sens dessus dessous. Il reste planté près de ses toiles, tétanisé, osant à peine lever les yeux vers les visiteurs qui commencent à entrer dans la salle. Sa première expo. Ces derniers mois, ses enseignants l'ont poussé à se surpasser, durement parfois, pour son bien, mais il a encore tant de choses à apprendre ! Quelle prétention d'avoir voulu exposer ! Mais qu'est-ce qui lui a pris ? Là, au milieu de la galerie et des travaux d'autres artistes (des étudiants également pour la plupart), Changbin se sent ridicule. Il trouve toutes ses peintures minables, voudrait pouvoir les remballer et fuir. Quelqu'un lui assène une tape vigoureuse dans le dos. À la poigne de fer, Changbin sait qu'il ne peut s'agir que d'une seule personne. 

— Salut Minho. Tu peux me rendre un service ? 

— Pas de problème. 

— Tu peux me casser la figure ? Comme ça, j'aurai un prétexte pour me barrer d'ici ! 

Le dit Minho éclate d'un rire qui résonne sans honte dans la galerie à l'ambiance feutrée, où quelques dames en tailleur et des hommes tirés à quatre épingles conversent doucement, une coupe de champagne à la main. 

— Arrête de t'en faire. Tes gribouillages sont super. Surtout ceux-là... ajoute-t-il avec un clin d'œil. Changbin maugrée. 

Les toiles de Félix, évidemment. L'une d'entre elles lui a été inspirée par le croquis le représentant sur le tronc d'arbre. En dessous de cette toile, et uniquement de celle-là, il a accroché un petit écriteau : Pas à vendre. Des millions n'y suffiraient pas, il faudrait le tuer pour la lui arracher. Il y tient trop. C'est un souvenir qui demeure vivant, comme si cette scène avait eu lieu la veille et non pas des mois auparavant, dans une autre vie... Un homme approche. Minho se racle la gorge pour avertir discrètement Changbin , qui se met de mauvaise grâce au garde-à-vous. Cette partie de son travail l'insupporte. Il n'a rien d'un commercial et il se sent incapable de parler de ses œuvres. Et puis, il y a ces questions horripilantes auxquelles il lui est impossible de répondre, comme « D'où vous vient votre inspiration ? » ou « Pourquoi utilisez-vous cette gamme de tons, en particulier ? », etc. Mais l'homme examine les toiles, en silence. Il se tient si près d'elles qu'il a quasiment le nez collé dessus. 

— C'est vous l'artiste, je suppose ? 

— Oui, monsieur. Changbin se flanquerait des claques. Pourquoi répond-il avec cet air penaud de petit garçon ? 

— Pas encore parfait, mais prometteur. Où est votre muse ? 

— Pardon ? 

— Ce jeune homme qui apparaît sur plusieurs de vos toiles ? Il n'assiste pas à l'inauguration ? 

— Non, il ne viendra pas, désolé. 

— Ah ? Dommage. L'homme s'éloigne en notant quelque chose sur un petit carnet. À quelques mètres, dans l'allée centrale, il croise la mère de Changbin , qui lui serre la main. Ils échangent quelques mots. Ça ne surprend pas Changbin le moins du monde : à force de fréquenter les Country Clubs, sa mère connaît de près ou de loin tout le gratin de la ville. 

— Ah, mon chéri ! s'exclame-t-elle en rejoignant son fils. Elle l'embrasse, pimpante et étonnamment gaie. 

— Tu sais que je viens de discuter avec lord Malloy ? Il a beaucoup apprécié tes tableaux. 

— Bah, il a dit ça seulement parce que j'étais ton fils. 

— Ça m'étonnerait. Je ne le lui ai pas dit. Je suis très fière de toi, Changbin . 

Pierre, Feuille, Ciseaux - ChanglixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant