Pierre, Feuille, Ciseaux - Changlix

Chapitre 26 - Félix

— Ce soir ou pour toujours, qui sait ? Ce n'est pas ainsi que doivent se terminer les contes de fées ? 

J'ai beau savoir qu'il plaisante, je ne peux empêcher cette grosse boule de joie d'enfler dans ma poitrine. C'est comme une porte qui reste ouverte, une possibilité qui existe, même si elle est ténue. Toujours , je n'y crois pas. Je sais d'expérience que ce mot est vide de sens, qu'il est une illusion. Mais pour plusieurs semaines, pourquoi pas ? De toute façon, quels que soient les termes du contrat, je demeure preneur. 

— Le prince doit revêtir son costume d'apparat, déclare-t-il en désignant la porte de la chambre avec le menton. 

— Je reste. Si tu es le roi des surprises, moi je suis le prince des voyeurs. Il rit, mais un rien gêné. 

Moi qui le pensais parfaitement sûr de lui... Ou peut-être y a-t-il une autre raison à sa pudeur ? Mon regard glisse sur son pantalon. Si je m'écoutais, je me jetterais sur lui sans attendre. 

— Ferme les yeux, m'ordonne-t-il. Ou je ne réponds plus de mes actes. 

J'obtempère à contrecœur, devinant qu'il cherche à me prouver quelque chose. Dans le calme de la chambre, j'entends le bruit métallique d'une fermeture qui glisse, des froissements de tissu, et je rouvre les paupières, incapable de résister plus longtemps. Debout devant son armoire, il enlève son pull et son tee-shirt pour rester torse nu. Ce torse qui, ce soir, sera à moi... Sa peau lisse et tendue sur ses muscles brille à la lumière du plafonnier, prend des reflets dorés. Il boutonne son pantalon, puis relève la tête en repoussant ses cheveux avec la main. Nos regards se rencontrent, se fondent, s'enflamment mutuellement. Changbin me transforme en torche humaine. À regret me semble-t-il si j'en juge par son soupir, il enfile une chemise blanche et une veste de costume noire au col satiné, assortie à son pantalon. Beau comme un prince. Et même plus que ça. Si je dois me consumer entièrement, tant pis. Il m'entraîne au rez-de-chaussée, dans l'entrée de la maison, où nous tombons nez à nez avec Minho, en costume lui aussi, et la fille rousse vêtue d'une sublime robe longue vert émeraude. À mon plus grand soulagement, la blonde à la moue méprisante s'est évaporée. 

— Allons-y, décrète Changbin. Et, mec, encore merci d'avoir pensé à nous pour les invitations. 

Bêtement, le nous déclenche une envolée de papillons dans mon ventre. Ainsi, nous sommes une entité, un couple, au moins pour une soirée. La fille lui décoche un coup d'œil interloqué. Je pense qu'elle ne s'attendait pas à ma venue, où que nous allions. Dehors, garée le long du trottoir, une limousine nous attend... Le chauffeur en livrée nous dépose devant l'université de Christ Church, située pas très loin de chez ma grand-mère, à l'entrée de Christ Church Meadow. La flèche de la cathédrale semble vouloir transpercer le ciel nocturne pour y décrocher les étoiles. Changbin ouvre la portière de la limousine, et je manque d'éclater de rire. Il tient une rose entre les dents, un peu à la manière d'un danseur de tango. Il attrape mon bras, il me fait tourner sur moi-même comme une toupie. 

— Tu aimes danser, Cendrillon ? 

Je me contente de sourire. Dans le contrat qui nous lie, j'aime tout ce qu'il me propose. Les lieux sont grandioses, immenses, et je me sens perdu. Mes mains tremblent, mes jambes se mettent à flageoler. Changbin me rassure en me prenant par les hanches et, après m'avoir aidé à me débarrasser de mon manteau dans une pièce transformée en vestiaire, il me conduit jusqu'à une grande salle au plafond de cathédrale. De chaque côté, des rangées de fenêtres incrustées de vitraux surmontent des enfilades de portraits anciens, et des chandeliers ont été allumés sur les tables repoussées contre les murs. Un palais féerique ne serait pas plus époustouflant. Dans le fond de la très longue salle, sur une estrade, un groupe de jeunes musiciens (des étudiants, peut-être ?) joue un air enjoué et des couples dansent déjà, en smoking et robe de bal.