Changbin rassemble toute l'énergie dont il est capable pour essayer de soulever ses paupières. L'effort lui paraît titanesque, surhumain. Une lumière crue et blanche inonde aussitôt ses yeux. Peu à peu, elle s'adoucit et il parvient à distinguer les objets à proximité. D'abord, des appareils qui bipent. Puis des lits, un chariot, des lumières qui brillent au loin à travers les fenêtres. Il n'est pas mort. Et son soulagement est à la mesure de la terreur qu'il a ressentie dans la ruelle et que, il le sait déjà, il ne pourra jamais oublier. Il a vu la mort en face. Un spectre effroyable au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Quand il pense à ce moment cauchemardesque, le bip accélère. Pense à autre chose... à quelqu'un d'autre... Il allonge légèrement le cou, pour mieux distinguer l'extérieur. Le jour commence à se lever, le ciel se déchire par endroits pour se parer de rose. Dans un souvenir confus, il croit avoir rêvé que Felix était allongé près de lui... Il devait délirer, certainement. Pourtant, il sent une main sur la sienne. Serait-il possible que... — Mon chéri. Surpris, il tourne la tête de l'autre côté et découvre sa mère, assise sur une chaise. Il veut sourire, mais la douleur provoquée par un simple étirement de sa bouche le fait gémir, et il devine que son expression doit plutôt ressembler à une grimace. Malgré tout ce qui s'est passé, leurs incompréhensions mutuelles, il est heureux qu'elle soit là, voudrait le lui dire. Rien à faire, ses lèvres continuent de se rebeller.
— Non, ne parle pas. Ta bouche est tuméfiée.
Elle lui prend la main. Ce matin, elle ne porte aucun maquillage. Sa coiffure est un nid d'oiseau et, avec son survêtement froissé, on dirait qu'elle vient de faire le tour de Séoul au petit trot. Changbin peine à reconnaître ce modèle d'élégance qu'est habituellement sa mère, et il ne se rappelle pas l'avoir jamais vue en jogging.
— Les médecins ont dit que c'était moins grave qu'il n'y paraissait. Tu seras remis en un rien de temps ! Tu as eu de la chance. Quand je pense à ce que ces... salauds t'ont fait !
Changbin n'en revient pas. C'est la première fois qu'il entend sa mère prononcer un mot aussi vulgaire. Qu'est-ce que lui a dit Félix, déjà ? Il se souvient d'une phrase un peu à l'eau de rose, du style « il y a mille et une façons d'aimer ». C'est drôle, sa mère a prononcé le mot salaud , mais lui a cru entendre : je t'aime . Elle plisse les yeux, se mord la lèvre inférieure. Changbin comprend qu'elle refoule ses larmes, et quelque chose se contracte dans sa poitrine. S'il le pouvait, il se lèverait pour la prendre dans ses bras, la rassurer, comme elle savait si bien le faire pour lui lorsqu'il était petit. Tout à coup, elle lui paraît si frêle, si vulnérable. Elle a le teint pâle, les traits tirés. Ce qu'il se dit à cet instant est comme une révélation. Sa mère, la vraie, est près de lui. Elle n'est pas une mère de remplacement. Rien au monde ne pourra changer cela. Aucune question de génétique ni de supposé lien naturel ne serait plus fort. Et il pense à Félix, qui donnerait certainement n'importe quoi pour être auprès de ses parents. Brusquement, un souvenir le traverse. Une date.
Il essaye d'articuler, tout en se demandant depuis combien de jours il se trouve à l'hôpital.
— Ta fête d'anni... Elle pose un doigt furtif sur ses lèvres.
— Quelle fête ? La seule personne avec qui j'ai envie d'être ce week-end, c'est mon fils.
Il s'escrime à ne surtout pas penser à celui qui est absent. Mais c'est plus fort que lui. Il murmure: — Pap...
— Il est venu hier soir. Mais, ce matin, il avait des urgences. Tu sais comment c'est, hein ? Il ne faut pas lui en vouloir. Son travail est très important.
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Pierre, Feuille, Ciseaux - Changlix
FanfictionFélix a perdu ses parents dans un accident de voiture. Accueilli par sa grand-mère qui vit à Séoul en Corée du Sud, il s'enferme peu à peu dans une bulle de solitude et de souffrance. Changbin est un jeune homme rebelle et torturé. Artiste contrarié...