À la nuit tombée, Changbin attend, caché sous un porche juste en face de la Bod. Un peu plus tôt, alors qu'il était avec Félix, Taeyeon l'a informé que Jae se trouvait à la bibliothèque. Il lui avait demandé de l'avertir si, par hasard, elle le croisait. Quand il lui a décrit le mec, il savait très bien ce qu'il faisait : Taeyeon, très populaire, connaît tout le monde à l'université. Changbin ne lui a pas dit pourquoi il voulait le voir et Taeyeon ne lui a pas posé de questions, devinant probablement que ce n'était pas pour l'inviter à boire un verre. Jae. Ce type est comme une malédiction. Il l'a d'abord insulté, puis il a saccagé sa moto avant de s'en prendre à Félix. Mais surtout, ce qui enrage Changbin jusqu'à le rendre dingue, c'est qu'il a manqué de le tuer. C'était lui, dans la ruelle. Changbin a parfaitement reconnu son regard, même s'il n'en a parlé à personne. À l'hôpital, il a décidé que, une fois sorti, il réglerait ses comptes face à face. Il veut que ce mec ressente la terreur la plus puissante, la plus cauchemardesque qui existe : celle de mourir. Ce soir, il a emporté un couteau qu'il serre au fond de la poche de son blouson. Il ignore jusqu'où il ira, jusqu'à quelle extrémité sa haine sera capable de l'emmener. Ce qu'il sait par contre, c'est qu'il en a assez de cette scène qu'il vit et revit toutes les nuits : il est allongé sur le pavé pendant que ses quatre agresseurs le bourrent de coups de pied. Chaque fois il se réveille en criant, le visage en sueur. Ça doit finir. Quand enfin Jae sort de la bibliothèque, Changbin resserre sa prise sur le manche du couteau. Bon sang, il n'est pas seul ! Deux autres types sont avec lui. Mais Changbin a accumulé tellement de tension qu'il n'imagine pas une seconde de devoir renoncer à son projet ou de le remettre à plus tard. Il n'est pas certain d'avoir les nerfs assez solides pour supporter une autre attente. Alors il patiente, en croisant les doigts. Les trois étudiants sont arrêtés juste devant la porte d'entrée de la Bod. Ils semblent discuter, peut-être de ce qu'ils comptent faire durant la soirée. Changbin retient son souffle. Quand ils finissent par se séparer, Changbin recommence à respirer. L'occasion est idéale, quasi miraculeuse. S'il croyait au destin, il dirait qu'il vient de lui donner un coup de pouce inespéré. Ce mec se déplace rarement seul. Ses deux amis prennent à gauche, en direction de High Street, tandis que Jae emprunte le chemin opposé, vers Hongik University. Le cœur de Changbin bat lentement, comme celui d'un fauve aux aguets. Rien que de voir ce type le rend malade. Il a envie de lui sauter dessus. Mais, devant cet endroit fréquenté, ce serait une erreur. Mieux vaut attendre encore un peu. Changbin se met à le suivre dans Hongdae . Comme il pleut à verse, il n'y a pas foule dans la rue. Toutes les conditions favorables sont réunies, et Changbin a conscience que cette chance ne se représentera peut-être pas de sitôt. Jae marche sans se douter un seul instant de sa présence. Changbin se rapproche de plus en plus. La pluie qui dégringole couvre le bruit de ses pas. Encore un signe que le moment désiré est enfin venu. Bientôt, deux ou trois mètres seulement les séparent. Les mains tremblantes, Changbin sort le couteau de sa poche. C'est maintenant ou jamais. L'image de ce qui va suivre est claire dans son esprit. Il va le coller contre un mur et lui poser la lame sur la gorge. Il veut voir la panique dans les yeux de Jae. Alors, peut-être, il s'arrêtera. Ou peut-être pas. Il le sait, il suffira d'un rien pour que la situation dérape. À la moindre insulte, il le plantera. En marchant, Changbin cultive sa colère pour l'empêcher de retomber. Il pense à sa mère biologique qui le rejette, au mal qu'elle lui fait et qu'il soulage en se bagarrant. C'est à cause d'elle qu'il est devenu violent. À cause d'elle qu'il est incapable d'aimer. Puis il pense à son père qui lui a caché la vérité. Et il se retrouve juste derrière Jae, toujours parfaitement inconscient de la menace qui pèse sur lui. Changbin agrippe si fort le manche de son couteau qu'il sent les aspérités du bois, les ronds des clous qui sont en train de s'imprimer dans sa paume. Il va sûrement gâcher sa vie. Mais il ne voit aucune raison valable de ne pas le faire. Personne aux environs. Il brandit le couteau, tend l'autre bras pour attraper Jae par le cou et l'étrangler. Il va y arriver, parce que la haine le rend plus fort, il le sait. L'adrénaline inonde ses veines. Soudain, un visage passe devant ses yeux. Un sourire. Il entend une voix qui l'appelle. Changbin . Et il comprend qu'en un claquement de doigts tout a basculé, que c'est foutu. Il ne le fera pas. Dire qu'il a failli ne jamais la rencontrer ! Avec ironie, Changbin pourrait presque remercier son père. Sans la nervosité que lui inspirait leur entrevue à venir, il n'aurait pas eu l'envie subite de redescendre prendre l'air pour se calmer. Au lieu de ça, il serait sorti au cinquième étage en laissant sa place à Félix dans la cabine. Le chemin que peut prendre une vie tient à si peu de chose, finalement. Jae s'éloigne vers Hongik, disparaît au loin derrière le rideau de pluie grise. Changbin se plaque contre un mur pour reprendre son souffle. Demain, il ira voir la police et il portera plainte contre lui.
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Pierre, Feuille, Ciseaux - Changlix
FanfictionFélix a perdu ses parents dans un accident de voiture. Accueilli par sa grand-mère qui vit à Séoul en Corée du Sud, il s'enferme peu à peu dans une bulle de solitude et de souffrance. Changbin est un jeune homme rebelle et torturé. Artiste contrarié...