CHAPITRE 13

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L'air pur entre dans mes poumons, l'odeur de la forêt flottant dans l'air, m'apportant la plénitude dont j'ai besoin. Celle-là même que je suis venu chercher en ce lieu. J'en avais eu envie en me réveillant. J'en avais eu besoin. Alors je n'avais pas réfléchi. J'avais enfilé mon pantalon en camouflage, mon gros sweat-shirt noir et mes bottines de randonnée avant de sauter dans ma voiture pour rouler plusieurs heures jusqu'ici. À ce lieu précis que je connais maintenant par cœur. C'était devenu un véritable refuge, un havre de paix que personne ne connaissait lorsque je l'avais découvert. Et il l'était toujours autant aujourd'hui. Abandonnant mon véhicule, j'avais attrapé mon sac à dos avant de m'enfoncer entre les arbres. Une brise faisait voleter mes cheveux, me faisant sourire sans même que je n'en prenne réellement conscience. À des kilomètres à la ronde, il n'y avait rien d'autre que des arbres, des rochers et un lac. Un vrai paradis.

Arrivant exactement au point que je voulais, la vue me coupe une nouvelle fois le souffle. Des pins à perte de vue alors que le brouillard en cache la cime. En haut de cette falaise, le vide à quelques pas de moi, ma vie me semble bien lointaine et c'était tout ce dont j'avais besoin. M'en éloigner, m'en couper. Tout oublier pour respirer et se sentir plus léger. Je sais que cette vie ne me convient plus. Mais que puis-je y faire ? Je n'ai pas de diplôme, pas de véritable ami. Je n'ai personne à qui me confier, personne pour m'épauler, personne pour me guider. Je me sens terriblement seul, tout aussi seul que lorsque ma mère est partie. La douleur est toujours aussi sourde dans mon cœur alors que je ne parviens pas à la surmonter. Au contraire, je me suis peu à peu enfoncé dans cette vie de débauche. Que penserait Maman si elle me voyait ainsi ? Elle aurait sûrement honte.

Me laissant tomber au sol, appuyant mon dos contre un rocher, un soupir m'échappe. J'ai besoin de quelqu'un, je le sais. J'ai besoin d'aide et de conseils. J'ai besoin que l'on me dise quoi faire pour redresser tout ça. Merde, j'ai besoin qu'on m'aime. L'image d'Andy traverse mon esprit et une boule de colère monte en moi. Il est impossible que cet homme signifie plus dans ma vie que chaque homme qui y défile chaque jour. Que pourrait-il m'apporter de plus après les mots qu'il m'a adressés ? Attrapant un caillou à ma portée, je le soupèse un instant avant de l'envoyer dans le vide. Aller voir un psychologue ? Ce serait probablement la solution. Mais ce ne serait pour moi qu'une preuve de plus de mon échec. Et je ne suis pas certain que je parviendrais à l'accepter, à l'encaisser.

Le gargouillement qui s'élève de mon estomac me ramène à la réalité, me rappelant les simples besoins humains, à mille lieues de ce qui me tracasse. Attrapant donc le sandwich que j'avais prévu dans mon sac, je mords dedans à pleines dents en laissant à nouveau mon esprit vagabonder. C'est tout ce que j'aime faire ici, penser. Penser à demain, l'imaginer. Mais aujourd'hui, l'exercice se révèle difficile alors que je ne sais plus quoi attendre de demain. Je vais devoir aller à ce stupide gala où je vais devoir jouer un rôle qui ne me convient pas tout en sachant que je ne vais me prendre que des critiques, que l'on va me rabaisser mais que je vais simplement devoir garder le sourire. À la fin, quel choix me reste-t-il ?

Un rayon de soleil s'échappe de derrière un nuage, venant éclairer mon visage alors que je ferme les yeux, laissant la chaleur réchauffer ma peau. C'est comme une douce caresse venue d'ailleurs. Un geste tendre perdu dans l'immensité du monde. Puis-je imaginer qu'il provient de ma mère ? Puis-je me permettre de croire qu'elle veille toujours sur moi malgré le tournant désastreux qu'est devenue ma vie ? Puis-je le prendre comme un signe d'encouragement ? Le nuage glisse finalement pour reprendre sa place et ce rayon disparaît, me laissant comme un goût amer dans la bouche. À nouveau, j'ai la sensation que ma mère est si loin de moi et, à nouveau, elle me manque terriblement.

L'après-midi est déjà bien entamé quand je quitte finalement ma petite parcelle de terre pour reprendre le chemin de ma voiture. Après des heures passées ici, je me dois de rentrer. Malheureusement, je ne peux pas me perdre ici pour l'éternité. Ni m'y cacher pour toujours. Alors je rassemble mon courage pour faire chacun des pas qui me rapprochent de mon véhicule. Je sais que je dois changer les choses mais j'ai peur de ne pas y arriver, de ne pas en être capable. Je sais que sans volonté, on ne parvient jamais à rien mais la peur peut également freiner les choses. Il faut parvenir à outrepasser cette peur, celle-là même qui m'entrave et m'étouffe. Celle qui me suit comme mon ombre et se nourrit de ma douleur.

Assis au volant, mon sac à dos sur le siège passager, les fenêtres ouvertes, je m'imprègne encore un peu de cette quiétude. Je ne veux pas partir mais je dois le faire. Je dois retourner à ma vie pour la mettre sens dessus dessous et la remettre ainsi sur le droit chemin. Je dois rentrer pour trouver une personne qui m'aidera. Je dois faire tout ça pour rendre ma mère fière de moi. Mais avant tout, je dois faire ça pour moi. Pour être fier de moi, me trouver et m'accepter. Pour avancer et me dire : je l'ai fait. Après une dernière inspiration, je démarre et reprends la route de mon appartement, abandonnant petit à petit les arbres derrières moi. Plusieurs choses m'attendent avant le gala de demain, il va falloir que je me bouge.

De retour à Seattle, la première étape est un passage chez le coiffeur. Mes racines châtains qui apparaissaient peu à peu disparaissent à nouveau grâce à la décoloration et mes pointes violettes prennent cette fois-ci une coloration bordeaux après avoir été quelque peu raccourci. Et le résultat que me renvoie le miroir me plaît particulièrement. S'ensuit ensuite une session shopping pour trouver la tenue idéale. Et il ne me faut pas longtemps pour trouver ce que je voulais. Un essayage plus tard, je suis déjà à la caisse avec l'ensemble, réglant mes achats tout en imaginant la tête de mon père : il ne sera certainement pas content. Mais peu importe, je jouerais le jeu et advienne que pourra.

Cependant, même s'il me faudrait une bonne nuit de sommeil pour me préparer à affronter demain, je prends une décision tout autre. Et à vingt-et-une heures passées, je quitte mon immeuble pour rejoindre l'un des bars de la ville. Mes envies sont tout autres pour ce soir que de me rendre au Zeppelin et me faire sauter par un mec qui pourra ensuite se vanter de m'avoir eu. J'ai juste envie de passer un bon moment, de boire quelques bières et de rentrer me reposer pour être prêt pour demain. Alors je troque la musique assourdissante habituelle contre le rock d'un pub où je me retrouve vite entraîné dans une partie de billard. Et même si mon style est atypique, que bon nombre de personnes me traitent de "tapette" dès qu'ils me voient, ici, dans les vêtements que j'ai conservés après ma randonné, je ne reçois aucune remarque désobligeante. Et je suis bien. Pour la première fois depuis longtemps, je suis juste bien. 

TROUBLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant