CHAPITRE 9

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Debout sur le perron, je n'ai aucune envie d'appuyer sur la sonnette. Je ne suis même pas certain d'en avoir la force. Je prends de lentes respirations et, au moment où j'allais me décider, la porte s'ouvre devant moi pour y dévoiler le majordome de mon père. Les cheveux gris, le regard presque doux, il est la seule personne qui ne m'est pas antipathique dans cette maison.

- Monsieur Zachary, Monsieur votre père m'a expressément dit de vous faire rentrer, au lieu que vous restiez, je cite, debout comme un idiot sur le perron.

Et en contradiction avec ses paroles, il lève les yeux au ciel, me faisant presque échapper un rire. Xavier a été présent pour moi après le départ de ma mère. C'est un homme bon. Il s'écarte alors de l'entrée, m'invitant à entrer et récupère ma veste. Comme à chaque fois que je passe la porte, je me sens mal à l'aise. Je ne me sens pas à ma place et j'ai l'impression d'étouffer. Vivement que ce déjeuner s'achève. Je prends une profonde respiration avant de suivre le vieil homme jusqu'au salon où se trouve ma famille. Mon père est installé dans son grand fauteuil de cuir, occupé à lire un journal. Christopher est, quant à lui, assis sur le grand canapé, son ordinateur portable sur les genoux. Il doit sûrement être occupé à travailler. Après tout, il n'a aucune vie en dehors de l'entreprise. Le jour de son mariage, ce ne sera que le fruit d'un arrangement entre hauts dirigeants. Et la pauvre femme se retrouvera piéger au milieu.

C'est mon géniteur qui m'aperçoit en premier, repliant lentement son hebdomadaire. Quittant son fauteuil, il le pose sur la table basse avant de s'approcher de moi. Je ne prononce pas à un mot, attendant la première attaque. Elle n'arrive jamais très longtemps après ma venue.

- Bonjour Zachary, quelle coiffure stupide arbores-tu encore ?

- Bonjour. Je ne suis pas ravi de te voir non plus. On peut passer à table ?

- Diable Zachary, tu pourrais mieux parler à ton père !

- Christopher.

Je ne lui adresse qu'un signe de tête alors qu'il se joint à nous, me lançant un regard réprobateur. Je vois alors ses yeux se poser sur la plaie qui orne ma joue et je réprime un soupir.

- Ne me dis pas que tu as commencé à te battre, en plus de ça ? Quand vas-tu donc cesser de...

- Pour ta gouverne, si se faire frapper sans opposer de résistance dans une sombre ruelle est se battre, alors c'est magique !

Il a beau saisir mon ironie, il n'en dit rien, son regard noir continuant de me fixer. J'ai toujours été le vilain petit canard de la famille. Je l'ai toujours su. Venant de mon père, c'est une habitude. Mais étant petit, j'avais envie de croire que j'avais un grand-frère qui m'apprendrait plein de trucs, avec qui je passerai tout mon temps. J'ai rapidement compris, à mon entrée en secondaire, que jamais je n'aurais une relation pareille avec lui. Nous étions simplement deux étrangers vivant sous le même toit et partageant le même sang.

- Tu as donc été passé à tabac ? Ce n'est absolument pas surprenant quand on voit ta vie de débauché.

- Ton frère a raison, Zachary. Tu te dois de changer et ce uniquement pour ton bien. Je ne veux pas revoir mon fils avec de telles blessures stupides.

- Pourquoi ? Parce que je te fais honte ?

- Parfaitement, tu n'es qu'un homme faible.

Pour la première fois depuis longtemps, ses mots me heurtent de plein fouet. Je suis habitué à sa méchanceté et à son indifférence mais c'est la première fois qu'il affirme haut et fort qu'il a honte de moi. Et qu'il me trouve faible. Que puis-je répondre à ça ?

- Il serait temps que tu cesses ta stupide petite rébellion, que tu te trouves une jolie femme et que tu prennes le même chemin que ton frère !

Alors que je suis prêt à lui lancer mille et une choses à la figure, comprendra-t-il un jour ce que signifie l'homosexualité ?, je suis arrêté de justesse par Xavier qui nous informe que le déjeuner est prêt. Je pourrais parier qu'il attendait derrière la porte le bon moment pour intervenir, celui où je serai au bord de la rupture. Mon géniteur et mon frère font alors volte-face pour rejoindre la salle à manger et je murmure un « merci » à l'intention du majordome qui m'adresse un mince sourire. Je sais qu'il n'a jamais toléré la façon dont mon père me traite mais il n'a rien pu y faire sans risquer son emploi et sa réputation. Attendant deux secondes de me calmer, je leur emboîte finalement le pas, les suivant jusqu'à m'installer à table avec eux. Quelle torture.

Par chance, le cuisinier de cette maison a toujours été excellent et je ne peux que me régaler alors que la compagnie est atroce. Ce n'est jamais appréciable de se faire débiner. Et tout y passe : mon absence de travail, mes conquêtes sans fin, mon apparence atroce et mes cheveux ignobles. Heureusement que je ne souffre pas d'un manque de confiance en moi parce que là, je serai déjà six pieds sous terre. Mais ils auront beau dire, je me fiche de leur avis. J'aime comme je suis et je ne changerais pas.

- Si nous avons préparé ce repas, c'est pour une bonne raison. Outre que de nous retrouver en famille sous ce toit.

Quelle famille ?

- Le gala a été prévu pour le vendredi à venir. Et autant te dire que tu as intérêt à venir. J'enverrai une voiture te chercher.

Je sais que je ne dois rien dire. Je n'ai pas envie d'envenimer les choses. Le résultat n'en serait même pas différent. Alors je me tais et j'encaisse. Comme je le fais toujours. Comme je continuerai à le faire.

- Il est bien sûr primordial que tu fasses un effort vestimentaire. Serait-ce trop te demander ?

Il sait pourtant bien que ce sera à ma façon, qu'il le veuille ou non.

- Et diable, fais quelque chose à tes cheveux !

Pour ça, rien n'est moins sûr.

- Évidemment, il va de soi que tu seras présent sur l'estrade au moment du discours parce que nous sommes une famille. Compris ?

Je soutiens son regard impassible avant de hocher la tête.

- Ne pas venir à poil et être un gentil toutou que tu exhibes comme si j'étais un fils prodigue un peu rebelle. C'est compris.

- Fais donc un effort pour une fois, Zachary. Que penserait ta mère si elle t'entendait parler ainsi ?

- Ne. Parle. Pas. De. Maman.

À peine l'a-t-il mentionné que je sens mon sang bouillir. Il n'a pas le droit d'utiliser Maman pour obtenir ce qu'il veut de moi.

- Veuillez m'excuser.

Mes dents sont serrées alors que je me lève, déposant rageusement ma serviette sur la table avant de quitte la pièce, mes pas me guidant directement à l'imposant escalier. Grimpant les marches deux à deux, je finis par passer une porte et me réfugie en boule, au pied du lit, assis sur le tapis qui s'y trouve. Non, il n'a pas le droit de parler de Maman.

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