CHAPITRE 10

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Assis sur le sol de ma chambre, je regarde autour de moi, détaillant ce lieu où j'ai vécu. Même si je suis parti de cette maison il y a un peu plus d'un an, j'ai l'impression de ne pas l'avoir vu depuis un siècle. Et je me rends compte qu'elle n'a plus vraiment évolué après le départ de Maman. Les murs ne sont pas couverts de groupe de rock découvert après mes douze ans, la parure de lit n'a pas changé depuis que je suis enfant et rien n'a bougé de place. Le départ de Maman semble avoir mis ce monde en pause. Mes affaires de cours sont les seules choses qui se soient rajoutés dans cet univers. Je remarque qu'une couche de poussière recouvre les meubles et je me dis alors amèrement qu'après mon départ, mon père a dû interdire d'y faire le ménage. Comme si condamner cette chambre ferait oublier mon existence. Si tu n'en parles pas, ça n'existe pas.

Les souvenirs affluent à mesure que je remarque des choses dans la pièce. Le tableau du parc que ma mère avait peint et qui est accroché au-dessus de mon bureau, j'avais pour habitude de le regarder lorsque je révisais. Les différentes peluches trônant sur une étagère, chacune venant d'un lieu différent alors que ma mère me les ramenait en cadeau des lieux où elle partait avec mon père pour les affaires. La pile de livres présents sur un tabouret à côté de mon lit, les romans que Maman avait pour habitude de me lire le soir ou que nous prenions plaisir à lire ensemble dans le jardin. Maman, Maman, Maman. Ma mère était présente dans chaque objet, chaque souvenir présent dans cette pièce. Un rien me rapportait à elle dans cette maison. Et bordel ce que ça pouvait faire mal.

Son départ avait été tellement brusque, tellement injuste. Comment un quelconque Dieu pouvait-il priver un petit garçon de sa mère, de son seul bonheur dans ce monde ? C'était une femme si belle, si forte et si douce. Elle était si insouciante et en même temps si terre-à-terre. Elle avait une immense culture et une ouverture d'esprit incroyable. C'était la meilleure femme du monde et surtout, la meilleure des mères. Il avait été impossible pour moi de croire à son départ quand je l'avais appris. Je ne pouvais le concevoir. Ma mère, mon héroïne ne pouvait m'avoir ainsi abandonné.

Les souvenirs commençaient peu à peu à remonter dans ma mémoire. Les souvenirs de ce jour-là. De son départ. C'était un jour pluvieux, un de plus à Seattle. Ce n'était qu'un évènement anodin pour n'importe quel habitant de la ville, même pour un petit garçon de douze ans qui avait abandonné son ballon de foot pour venir se mettre à l'abri, installé dans le canapé de la véranda sous un gros plaid avec un bon chocolat chaud dans les mains. C'était son lieu favori de la maison, celui où il observait les étoiles et la pluie avec sa mère. D'ailleurs, elle n'aurait pas dû tarder à rentrer vu l'heure tardive qu'il était. Mais quand la porte s'était ouverte, ce n'était pas sa mère qui était sur le palier.

Ce petit garçon se souvenait parfaitement du monsieur qui s'était assis à côté de lui, lui demandant si son chocolat était bon ainsi, lui racontant qu'il adorait lui-même y mettre de la crème fouettée. Mais l'enfant n'était pas dupe. Cet homme qui aurait pu être si séduisant avait un regard bien trop éteint. Celui d'un homme qui a trop vu de choses dans sa vie. Ses cheveux noirs étaient très court, presque rasé, alors que ses yeux marron inspirés une certaine chaleur aux premiers abords. Le numéro de la plaque de cet homme était gravé dans son esprit. 6877. Quelques mots plus tard, la tasse avait éclaté au sol, éclaboussant le canapé ainsi que le plaid. Mais ce n'était pas grave. Ce n'était pas le plus grave.

Voiture. Camion. Ivre. Percuté. Ravin. Morte. Morte. Morte. Ce seul mot avait résonné dans son esprit. C'était celui qui avait le plus de sens dans cette histoire. Un homme ivre qui conduisait un camion avait percuté la voiture de sa mère et cette dernière avait fini dans un ravin, morte. Morte. Morte. Inlassablement. C'était impossible. C'était une mauvaise blague ! Sa mère allait rentrer. Sa mère allait venir le voir et le prendre dans ses bras. Elle allait le rassurer et lui dire qu'elle était là, qu'elle ne le quitterait jamais. Sa mère allait rentrer. C'était impossible autrement. Comme un petit garçon de douze ans pouvait-il admettre que la personne la plus importante à ses yeux ne lui parlerait plus ? Ne lui sourirait plus ? Ne le prendrait plus jamais dans ses bras ?

Pendant des jours, il accourait à la porte dès qu'il l'entendait s'ouvrir, espérant toujours y voir sa mère passer le porche. Mais ce n'était jamais elle. L'enterrement avait eu lieu, en grande pompe, mais il n'arrivait toujours pas à saisir la portée de cette action. Il était en âge de comprendre. Mais il le refusait. Ce petit garçon voulait juste voir sa mère revenir.

- Mais elle n'est jamais revenue...

Ce n'est qu'un murmure qui m'échappe alors que je reviens dans le présent. Les souvenirs m'ont ébranlé et j'essuie les quelques larmes qui se sont échappées de mes yeux clos. Je sais que je ne me suis jamais totalement remis du décès de Maman. Et je ne le pourrais sûrement jamais. Mais à partir de ce jour, les choses ont empiré. Je me suis retrouvé tellement seul. Xavier était là, mais ce n'était pas semblable. Mon père m'a porté encore moins d'attention et nos chemins se sont éloignés. Aujourd'hui, tout semble si loin. Maman était le ciment de notre famille et, sans elle, tout a volé en éclat.

Quittant la chambre, je me sens pourtant plus léger. Comme si j'avais laissé un peu du poids de mes souvenirs dans cette pièce. Il ne partira jamais mais ça m'apaise un peu. Rejoignant le hall d'entrée, je récupère ma veste dans le grand placard avant d'attraper la poignée.

- Monsieur Zachary veut-il emporter une part de dessert ?

Regardant à droite et à gauche, il se rapproche doucement de moi, laissant tomber son masque d'employé.

- Mon enfant, files avant que quelqu'un ne te voit. Mais tu n'as pas fini de manger ? Veux-tu en emporter un peu ?

Je secoue négativement la tête avant de le prendre dans mes bras, le faisant sursauter.

- Merci d'avoir toujours été là pour moi depuis le départ de Maman. Tu es un homme bon, Xavier. Tu mérites bien plus que ce que mon père t'offre.

Je le relâche et vois quelques étoiles briller dans ses yeux. Il mérite tellement plus de reconnaissance. Je lui adresse un dernier sourire, le salut et quitte le domaine. J'ai une sensation étrange dans l'estomac au fur et à mesure que je m'éloigne. Dois-je suivre mon instinct et lui faire confiance ?

TROUBLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant