TROUBLE

CHAPITRE 28

Quand je lui ai indiqué qu'on allait prendre la voiture pour discuter, il n'a pas compris. Quand je l'ai empêché de parler dans la voiture pendant le temps de route, il n'a pas compris. Quand nous avons marché dans la forêt jusqu'à ma falaise préférée, il a été ébloui. Il ne connaissait pas cet endroit et j'ai été ravi de le lui faire découvrir. Alors je lui ai parlé de comment je l'avais découvert, qu'il était mon refuge secret mais qu'aujourd'hui, je le partageais avec lui. Il a compris la portée de cette décision, il a compris à quel point ça comptait pour moi et devait compter pour lui. Il a compris quelle preuve cela pouvait représenter à mes yeux et ça a semblé l'apaiser. On s'est assit à même le sol et on a regardé la vue. On en a profité pendant cinq minutes. Puis dix. Puis quinze. Un instant suspendu dans le temps où seuls les bruits de la nature existaient. Nous faisions partis d'elle. Finalement, il a posé son regard sur moi et j'ai compris. C'était le moment.

- Christopher, mon frère, a eu un accident de voiture.

Je laisse ces mots planer un moment, prenant moi aussi en considération la portée de leur signification. C'est la première fois que je le dis à voix haute et ça fait tomber un poids sur mes épaules. Un poids bien plus lourd que ce que j'aurai pu croire. Mon frère aurait pu y rester. Comme ma mère avant lui.

- Il n'est pas mort. Mais il n'est pas en très bon état non plus. En fait, il a besoin d'une greffe. Une greffe de moelle osseuse.

Un nouveau silence. Ça fait mal. Mon grand-frère a failli perdre la vie. Et rien. Ça ne me fait rien. Je ne le pleure pas, je ne le regrette pas. Je suis juste insensible face à un choix qui me dépasse.

- C'est arrivé dans la nuit de samedi à dimanche. Cette nuit où je croyais avoir trouvé le bonheur et l'équilibre. J'ai reçu un appel de l'hôpital pour venir faire un test de compatibilité, les donneurs les plus probants faisant partis de la famille proche. Mais je n'ai pas eu les résultats immédiatement.

Et je suis parti en vrille. Pour quelque chose que je ne pouvais pas contrôler. Pour quelque chose qui n'était pas de mon ressort. Pour quelque chose qui a touché quelque chose en moi que je ne comprenais pas.

- C'était à ça que je pensais pendant que tu m'apprenais à me défendre. Ça m'a déconcentré. Et tu m'as blessé. J'aurai dû t'en parler, t'expliquer. Mais au lieu de le faire, j'ai fuis. Parce que je n'avais aucune idée de la décision que j'allais prendre : le sauver ou le condamner. Et je ne voulais pas que tu m'influences. Donc je me suis simplement enfuis en refusant ton aide.

Quel idiot. C'est justement de lui dont j'ai besoin depuis si longtemps. Et maintenant qu'il est là... Pourquoi l'avoir repoussé ? Pourquoi l'avoir éloigné ? Pourquoi avoir refusé cette main tendue que je me targuais de vouloir attraper ?

- Les résultats sont tombés ce matin : je suis compatible. Et... J'ai besoin de ton aide. Parce que... Merde ! Je ne sais pas ce que je dois faire ! Ma morale me dit que je dois le faire mais mon cœur veut le faire souffrir comme j'ai souffert toutes ces années. Suis-je un monstre pour penser ainsi ? Andrew, je suis perdu...

Je croyais être fort. Ne pas être atteint. Mais mon vis-à-vis me prouve le contraire en retirant une larme de ma joue. Il me montre son doigt et je comprends : je suis loin d'être insensible à tout ça. Je suis touché bien plus profondément que je prétendais, que je croyais.

- C'est ton frère, Zachary. Tu as beau prétendre et te convaincre que tu le hais... C'est sûrement un mensonge. Tu l'aimes mais tu ne sais pas comment gérer ça. Avec ce que tu as subis. Parce qu'il reste ton frère. Ton sang. Je ne peux pas prétendre que je sais ce que tu ressens, parce que je ne le sais pas. Mais je sais ce que ça fait de perdre un frère, même si les mères sont différentes. Parce que j'ai perdu des frères à la guerre. Plus d'un. Et que j'ai regretté chacune de ces pertes. Chacun de ces gestes que je n'ai pas fait mais qui auraient pu leur donner un avenir différent.

Il s'arrête, cherchant probablement la meilleure façon de dire ce qu'il pense mais l'exprime finalement avec son cœur.

- Je ne sais pas si Christopher peut mourir si tu refuses mais, même s'il finit simplement paralysé, je suis certain que tu t'en voudras toute ta vie. Je pense pouvoir dire que je te connais, Zachary Thomson, j'en suis même certain, et tu es bien loin d'être un monstre. Je sais quelle décision tu vas prendre, n'est-ce pas ? Parce que tu veux leur montrer que tu n'es pas comme eux. Parce que tu veux leur prouver qu'ils ont toujours eu tort à ton sujet.

Sa main se pose sur ma joue pour m'inciter à le regarder dans les yeux, ce que je fais, fondant face à tout ce que je peux y trouver. Comment un regard peut-il exprimer autant de choses ?

- Tu sais aussi bien que moi quel est le choix que tu as pris dès que tu l'as su. Mais si tu veux savoir ce que j'en pense. Demande-le-moi. Sinon, je ne dirai rien pour ne pas t'influencer.

- Parle. Dis-moi, Andy. Dis-moi ce que tu penses et ce que tu sais.

- Fais cette greffe. Pour ta mère. Fais-là. Elle ne voudrait pas que ses fils se déchirent ainsi. Alors, rends-lui cet hommage et après... Après, coupe les ponts. Tu ne leur devais rien mais là, ce sera définitif. Sauve-le et arrête tout. Pour moi, c'est la meilleure chose à faire. Mais dans l'un comme dans l'autre, nous savons tous les deux que le choix t'appartient. À toi et uniquement à toi.

Un léger rire, bien que cassé, m'échappe, le faisant sourire.

- Tu as raison, Andrew, j'ai toujours eu la réponse en moi mais je... Je crois que je voulais leur faire du mal. À mon père et à son cher fils si parfait. Mais je ne peux pas. Je ne le supporterai pas. J'ai confiance en toi, en ton jugement et tu as raison : après ça, ce sera fini. Tout simplement fini. Je n'aurai plus de famille mais ce sera bien mieux.

- Tu as tort.

Sa voix est dure, me surprenant. Qu'ai-je dit de mal ?

- Tu es idiot si tu crois que tu n'as plus de famille. Une famille n'est pas uniquement composée de gens du même sang. Parce que tu fais partie de notre famille, à Alice et moi. Et si tu le refuses, ça me blesserait profondément. Parce que j'ai envie d'être avec toi, Zack. Je sais qu'avec moi, tu te retrouves avec une fille dans les pattes mais j'ai l'espoir que ça ne te dérange pas. Parce que... Merde, Zachary, je t'aime. Tu m'as fait tomber pour toi et je ne veux pas te perdre à cause de la personne la plus importante au monde pour moi.

- Et tu es toi-même un idiot si tu crois que je te refuserai pour Alice.

Je ne peux retenir les larmes qui coulent à nouveau sur mes joues. Cette déclaration me touche tellement que je craque. Mes émotions explosent et volent en mille morceaux.

- Bordel, faire partie de votre famille serait le plus beau cadeau de ma vie. Et je te rappelle quand même que j'ai eu l'appartement de mes rêves, un jour. Je t'aime, Andrew. Je t'aime tellement que je ne pourrai pas renoncer à toi si tu refusais que je côtoie ta fille. Si tu me promets en plus une vie avec elle... Je n'aurais aucunement la possibilité de refuser.

- Alors, on va traverser tout ça ensemble ?

- Oui, ensemble.

Sa bouche qui s'écrase sur la mienne a le goût de la liberté, de l'amour et du bonheur. Je viens de loin mais je sais désormais où je vais aller. Ce ne sera sûrement pas toujours facile mais je suis prêt à tout surmonter tant qu'il est à mes côtés. Cette décision est prise : je ferai cette greffe. Je vais faire ce cadeau à Christopher et les sortir de ma vie. Si je ne suis pas digne d'eux, alors ils ne sont pas dignes de moi. Et dans ce cas, je n'ai aucune raison de continuer à souffrir pour eux. Plus de gala forcé, plus de dîner foireux, plus d'insultes et de rejets. C'est fini. Je ne me laisserai plus jamais atteindre par eux. La douleur qu'ils m'ont donné sera une force contre eux-mêmes. C'est fini. Tout va bientôt être fini.