Faire un effort vestimentaire est une notion que je connais, mais uniquement à ma façon. Une façon qui, je le sais, serait loin de plaire à mon père et à mon frère. Mes cheveux décolorés, arborant leurs toutes nouvelles pointes bordeaux, sont coiffés et mes yeux étaient soulignés d'un trait de khôl, ayant troqué mes lunettes contre des lentilles. Mes fidèles rangers sont à mes pieds, par-dessus un skinny noir moulant mes formes et dévoilant mes genoux par les deux déchirures qui s'y trouvent. Une chemise blanche quelque peu transparente orne mon torse et laisse entrapercevoir le tatouage présent sur mon biceps gauche. Quelques boutons sont détachés et une cravate noire desserrée achève mon style. Et j'admets sans vergogne qu'ainsi, je me trouve particulièrement désirable. J'aurais même beaucoup apprécié qu'Andy puisse me voir comme ça, cela l'aurait peut-être fait changer d'avis. Je pense alors à porter cette tenue la prochaine fois que j'irais au Zeppelin avant de secouer la tête. Ce n'est pas important. Je quitte alors mon reflet pour rejoindre le salon où j'attrape mon téléphone pour regarder l'heure.
Dix-neuf heures treize. Le chauffeur envoyé par mon père ne devrait être là que d'ici une quinzaine de minutes, me laissant le temps de prendre un premier verre pour me détendre. Une cigarette dans une main, un verre de rhum dans l'autre, je domine le monde de mon balcon en me demandant ce que va donner cette soirée. Je n'ai aucune envie d'y aller en sachant que je vais subir des remarques désobligeantes de mon père devant ses actionnaires et que je ne pourrais y répondre qu'avec le sourire. Je pourrais venir dans une tenue des plus classiques, la donne ne changerait même pas. Un soupir m'échappe alors que j'achève mon verre, le mégot à présent écrasé dans le cendrier. Mon téléphone vibrant sur la table basse m'indique qu'il est l'heure.
Installé sur le cuir fin de la berline, je ne cesse de faire tourner mon téléphone entre les doigts en espérant qu'un message arrive, me donnant une excellente raison de faire demi-tour. Mais rien. Encore et toujours cet inlassable silence. J'aurais préféré aller au Zeppelin pour voir Andy mais je me mens à moi-même en me disant que c'est une bonne idée. Ce serait tout sauf en adéquation avec la décision prise hier de me reprendre en main. J'essaye toujours de me convaincre que cette obsession n'en est pas une. Mais je sais également que je ne trouverai personne avec qui rentrer ce soir. Sauf si je peux me dégoter un mignon petit serveur avec qui fricoter. Si j'en ai envie. Dans tous les cas, depuis la découverte de mon homosexualité, mon père met un mot d'ordre à filtrer les employés afin que personne ne soit à mon goût. Et cette habitude me fait très sérieusement chier. Je sais qu'il a honte de moi mais y rajouter ça, c'est un peu plus blessant.
La vue de Seattle défile par ma fenêtre et j'observe les gens, me demandant de quoi sera fait leur soirée : vont-ils retrouver un cher et tendre ou finir seul avec un pot de glace ? Vont-ils retrouver des amis ou aller travailler de nuit ? Le véhicule tourne dans une ruelle avant de s'y arrêter et je ricane en comprenant que mon père me fait passer par la porte de derrière. Il veut que j'évite les tabloïds, faisant croire que j'ai passé la journée ici, avec eux, à préparer la soirée pour parfaire l'image. Et alors que je quitte la voiture, non sans remercier le chauffeur d'abord, je me demande une nouvelle fois pourquoi ils ont tenu à ma présence ce soir.
Comme toujours, les choses ont été faites en grand, avec lustres brillants et verres de champagne en cristal. Les hommes sont en costumes et les femmes portent des robes toutes plus élégantes les unes que les autres. Tout est en retenue et en hypocrisie, me faisant grimacer. Comme je l'avais imaginé et attendu, mon père et Christopher se sont fait une joie de me rabaisser sur ma tenue et ma coiffure. Mais je sais que Maman aurait adoré la nuance de bordeaux dans mes cheveux. Ils m'ont briefé, à l'écart, sur le sujet de ce gala afin que je puisse converser avec les convives même si je me fiche de l'entreprise. De plus, et pour la énième fois, ils m'ont rabâché les règles de bienséance, comme si je n'avais aucune éducation. J'ai grandi dans ce monde et je sais comment gérer des mondanités sans avoir besoin d'eux. C'est agaçant de les voir oublier que Maman m'a tout appris sur ce monde, comme si elle n'avait jamais existé. Comme toujours, elle me manque terriblement.
Une coupe de champagne à la main, j'évolue avec aisance au sein des convives, me déplaçant entre les groupes de personnes. J'attire peut-être l'attention et le regard mais ils apprécient grandement ma compagnie et ma conversation, me donnant souvent une carte de visite à la fin de notre entrevue. Chris et mon père ont beau dire, personne ici ne sait que je suis le « débauché des tabloïds » et se fiche des dires des magazines people. Eux même font face aux mensonges et aux rumeurs qui y sont exposés alors ils n'ont aucune raison de faire attention à ce que l'on peut y lire.
Que l'on parle politique, économie ou météorologie, la conversation est agréable et argumentés, donnant des débats amicaux qui s'achèvent sur une poignée de main virile et une promesse de reprendre le temps de discuter. De temps à autre, alors qu'un membre de ma famille se joint à notre conversation, l'interlocuteur vante ma culture et la chance d'avoir une telle famille. Alors j'esquisse un sourire, jouant le fils parfait, tout en pensant qu'au moins personne ne me dénigre devant eux. Tous ces mensonges m'écœurent et je ressens le besoin irrésistible de fumer pour me détendre, m'excusant donc avant de quitter la salle de réception pour rejoindre la ruelle par laquelle je suis arrivée. Le grand discours ne commence que dans trente minutes alors je peux me détendre un peu avant de reprendre ces faux-semblants. La fraîcheur de la nuit me fait frissonner mais la nicotine m'apaise. Mes muscles se détendent et je m'appuie contre le mur. Une. Deux. Trois minutes s'écoulent alors que ma cigarette se consume. De vieux souvenirs remontent alors que j'essaye de les oublier. Une boule se forme dans ma gorge avant que je n'écrase le mégot sous ma semelle, tentent au passage d'écraser la douleur dans ma poitrine.
Debout sur cette estrade, à la gauche de mon père, je détaille la foule. Il est l'heure du fameux discours qui expliquera la raison de tout ça, celle officielle pour dépenser autant d'argent et réunir tout ce beau monde. C'est l'instant le plus important et je sens la tension monter peu à peu. Je ne peux qu'admettre que mon père est un grand orateur et qu'il sait faire durer le suspense. Les vigiles s'approchent un peu pour avoir une meilleure vue d'ensemble de la foule et quelque chose me frappe alors. Mes yeux croisent deux orbes émeraude et mon souffle se coupe. Je dois rêver parce que la seconde d'après, personne ne se trouve là où je regarde. Je secoue légèrement la tête pour reprendre contenance et me concentre sur le discours de mon géniteur. Et je me rends compte que j'ai perdu le fil plus longtemps que je ne le pensais quand je comprends qu'il est déjà aux conséquences futures de ce nouveau projet. Bordel ce que ce regard peut me bouleverser. Même sans être réel. Une slave d'applaudissements retentit, signifiant la fin de ma mise en avant et je quitte l'estrade pour me mêler à la foule. Mais à nouveau, je croise ces yeux hypnotisant et je sais que je ne rêve pas : Andy est bel et bien là.
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TROUBLE
Romance⟪Mon quotidien est devenu ce qu'il est parce que je n'avais pas de but et personne pour croire en moi. Mais peut-être que cette rencontre va me toucher plus que je ne le pensais, plus que je ne le voulais. ⟫ [BOYXBOY]