Chapitre 15 : Comme un petit cocon

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Dès le lendemain,  j'avais proposé à Lucine qu'on se voie. Ces deux semaines avaient été  assez longues et durant les vacances, je m'étais habituée à la voir  fréquemment. Ç'aurait pu être considéré comme une mauvaise habitude,  mais je voulais juste profiter de ce qu'on vivait. D'autant plus  maintenant que j'étais capable d'y mettre des mots dessus. Je me sentais  libérée et j'avais l'impression d'avoir le droit de profiter de ce que  je vivais, que je ne devais plus me mettre de barrières inutiles.

Alors ce fut avec un  grand sourire que j'arrivais chez Lucine. Celle-ci m'invita  immédiatement à rejoindre sa chambre. Pendant de longues minutes, nous  ne disions rien et nous contentions de nous prendre dans les bras.  Jamais cette sensation d'être aussi proche d'elle n'avait été aussi  douce. Et même si des discussions à propos de sexe revenaient  régulièrement dans notre couple, je n'envisageais pas encore cette  option et il en était de même de son côté.

Puis, je ne voulais  clairement pas la forcer, je ne voulais pas lui faire ce que j'avais  vécu. Sur certains points, je mettais des mots assez facilement, mais  là-dessus, j'étais encore en zone grise. Mais un jour, j'y arriverais.  Comme pour tout. Il me fallait juste du temps.

Lucine était bien trop  précieuse à mes yeux pour que je la brise. En plus d'être une magnifique  femme et d'avoir un sourire irrésistible, elle était cultivée. Elle  était capable de s'exprimer sur des tas de sujets et d'en avoir un point  de vue très tranché. Elle était également capable de beaucoup de  compréhension. Elle ne jugeait jamais trop vite les autres, quitte à  être un peu naïve. Elle voulait trouver du bon dans chacun, parce que  rien n'était jamais très manichéen à ses yeux. Et elle espérait  beaucoup, parfois un peu trop, que des tas de choses changent. Elle  était bien plus optimiste que moi et, des fois, c'était vraiment ce  qu'il me fallait, en plus de sa douceur et sa délicatesse.

J'aime Lucine, parce que j'aime beaucoup trop de choses chez elle.

Elle se releva et nous nous assîmes sur son lit, échangeant quelques regards.

— Ton rose ressort, me fit-elle remarquer en prenant une mèche de mes cheveux.

— Normal. J'ai bien  négocié avec le coiffeur. Peut-être que ma mère voudra me faire  retourner chez le coiffeur. Mais ça sera encore la même chose.

Je haussai les épaules  et Lucine laissa échapper un petit rire. Elle aussi avait bien compris  qu'on ne pourrait pas me faire changer d'avis. Peut-être même que je  mourrais avec les cheveux roses. Pendant un instant, j'imaginais un  enterrement hors-norme, en rose et avec du metal. Au moins, ce serait un  bon hommage pour ma petite vie.

Puis je ris à cette stupide pensée.

— Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Lucine.

— Je pensais à des conneries, de grosses conneries.

— Pourquoi ça ne m'étonne même pas de toi ?

Et de nouveau, nous  échangeâmes quelques rires. Il nous en fallait peu, mais c'était  peut-être ça le meilleur entre nous. Nous pouvions avoir des discussions  très vives, très compliquées, parce que nos vécus l'étaient, puis il  nous suffisait d'une phrase ou d'un mot pour qu'on explose de rire  toutes les deux. Bien évidemment, nous nous assurions toujours si ça  allait, si l'autre voulait en parler davantage.

D'ailleurs, je vis  l'expression sur son visage changer et j'étais persuadée que quelque  chose la tracassait. Elle faisait toujours cette tête quand elle avait  envie de parler de quelque chose d'assez compliqué à aborder, même si je  n'étais pas la principale concernée.

Je lui pris ses mains  pour la mettre en confiance. Du moins, j'essayais. Je voulais juste  qu'elle se sente suffisamment en sécurité et en confiance pour dire ce  qu'elle avait sur le cœur, néanmoins, sans jamais la forcer.

— Je veux faire mon  coming out à mes parents. J'ai tâté le terrain cette dernière semaine...  Et j'ai l'impression que ça pourrait passer. Enfin, je pense même  qu'ils ont peut-être compris depuis longtemps.

— Si tu sens que c'est le bon moment, je ne vais pas t'en empêcher. Je suis juste... inquiète pour toi.

— Ma famille m'a  toujours soutenue et c'est peut-être con, mais je n'ai plus envie de  leur mentir. Iels m'ont montré des tas de fois que je pouvais avoir  confiance en elleux. Je sais que je ne leur dois rien, que je ne suis  pas obligée de tout leur dire... mais j'en ai surtout envie.

Ne sachant pas quoi  exactement lui dire, instinctivement, je la pris dans mes bras, espérant  que ce soit suffisant pour la rassurer. Ou peut-être juste pour me  rassurer. Il était évident que, même si elle se sentait en confiance,  elle n'était pas calme pour autant.

Elle me relâcha,  souriante. Il y avait toujours une pointe d'appréhension sur son visage  et je savais que je ne pourrais rien y faire, malheureusement.

Elle se leva alors du  lit, prête à l'annoncer à ses parents. Je ne la suivis pas  immédiatement, ayant quelque chose à lui dire à mon tour.

— Diana ? m'interpella-t-elle en voyant que je me perdais dans mes pensées.

— Est-ce que je peux te faire mon coming out de bi ? demandai-je naïvement.

— N'est-ce pas déjà fait du coup ?

— Oui... mais... En  fait, oui, finis-je par dire tout simplement. Est-ce que je viens de  faire le coming out le plus nul au monde ? J'en ai quand même un peu  l'impression.

— Au contraire, je le  trouve très bien... Et puis on ne va pas sortir les ballons et les  confettis à chaque fois. Enfin... C'est compliqué tout ça et à moins que  tu veuilles que je te fasse un cours de socio sur le coming out, on  devrait y aller.

— Sinon des sources, ça me suffit, rétorquai-je, souriante.

Elle me sourit à son  tour. Ce genre de discussions, nous en avions eu des tas et à chaque  fois, il y avait tellement de légèretés alors que nous aurions pu  aborder des tas de sujets complexes et parfois graves. Mais j'aimais  tous ces échanges que nous avions. Tout me paraissait si simple  maintenant avec elle...

Alors, étant enfin  prête, elle me guida jusqu'à l'étage inférieur. Ses parents étaient en  train de préparer le repas du soir. Pendant quelques instants, elle  hésita, ne sachant pas comment formuler ses phrases, puis elle leur  avait clairement dit qu'elle était lesbienne et que nous sortions  ensemble.

Ses parents sourirent  immédiatement et sa mère laissa échapper un « On le savait ».  Immédiatement, Lucine en eut les yeux embués et prit ses parents dans  ses bras. En privé, elle m'aurait certainement dit qu'il ne fallait pas  autant s'émouvoir de ce genre de réactions, que c'était un comportement  normal de l'accepter. Mais ses sentiments avaient pris le dessus sur la  théorie.

Ses parents se  tournèrent vers moi pour m'inviter à dîner. Même s'il me connaissait  déjà, ils voulaient en savoir plus sur nous deux et s'assurer que nous  étions heureuses. C'était une délicate attention. Si délicate qu'elle me  rappellerait que jamais je ne vivrais ça dans ma propre famille.

Heureusement que je  n'avais plus aucune estime pour mes parents. C'était soudainement  beaucoup plus simple d'imaginer une éventualité où aucun d'entre eux  n'en saurait rien. Néanmoins, je n'avais aucun problème à m'imaginer  passer plus de temps avec la famille de Lucine, à être totalement  acceptée.

Après tout, ils avaient  déjà commencé à m'intégrer à leur vie et à leur famille... Si seulement  je pouvais rester dans ce petit cocon bien plus longtemps, ce petit  nuage si moelleux qui me donnait envie de sourire rien que d'y penser.

Parfois, j'avais  l'impression que rien n'allait et que ma vie pouvait être quelques fois  assez catastrophique, mais, des fois, j'avais des brins d'optimisme. Des  fois, je voyais qu'il y avait encore du bon chez certaines personnes.  Et je commençais à espérer... à émerger de cette obscurité dans laquelle  je m'étais plongée. Il était peut-être enfin temps que j'en sorte...

Le Spleen du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant