Dès le lendemain, j'avais proposé à Lucine qu'on se voie. Ces deux semaines avaient été assez longues et durant les vacances, je m'étais habituée à la voir fréquemment. Ç'aurait pu être considéré comme une mauvaise habitude, mais je voulais juste profiter de ce qu'on vivait. D'autant plus maintenant que j'étais capable d'y mettre des mots dessus. Je me sentais libérée et j'avais l'impression d'avoir le droit de profiter de ce que je vivais, que je ne devais plus me mettre de barrières inutiles.
Alors ce fut avec un grand sourire que j'arrivais chez Lucine. Celle-ci m'invita immédiatement à rejoindre sa chambre. Pendant de longues minutes, nous ne disions rien et nous contentions de nous prendre dans les bras. Jamais cette sensation d'être aussi proche d'elle n'avait été aussi douce. Et même si des discussions à propos de sexe revenaient régulièrement dans notre couple, je n'envisageais pas encore cette option et il en était de même de son côté.
Puis, je ne voulais clairement pas la forcer, je ne voulais pas lui faire ce que j'avais vécu. Sur certains points, je mettais des mots assez facilement, mais là-dessus, j'étais encore en zone grise. Mais un jour, j'y arriverais. Comme pour tout. Il me fallait juste du temps.
Lucine était bien trop précieuse à mes yeux pour que je la brise. En plus d'être une magnifique femme et d'avoir un sourire irrésistible, elle était cultivée. Elle était capable de s'exprimer sur des tas de sujets et d'en avoir un point de vue très tranché. Elle était également capable de beaucoup de compréhension. Elle ne jugeait jamais trop vite les autres, quitte à être un peu naïve. Elle voulait trouver du bon dans chacun, parce que rien n'était jamais très manichéen à ses yeux. Et elle espérait beaucoup, parfois un peu trop, que des tas de choses changent. Elle était bien plus optimiste que moi et, des fois, c'était vraiment ce qu'il me fallait, en plus de sa douceur et sa délicatesse.
J'aime Lucine, parce que j'aime beaucoup trop de choses chez elle.
Elle se releva et nous nous assîmes sur son lit, échangeant quelques regards.
— Ton rose ressort, me fit-elle remarquer en prenant une mèche de mes cheveux.
— Normal. J'ai bien négocié avec le coiffeur. Peut-être que ma mère voudra me faire retourner chez le coiffeur. Mais ça sera encore la même chose.
Je haussai les épaules et Lucine laissa échapper un petit rire. Elle aussi avait bien compris qu'on ne pourrait pas me faire changer d'avis. Peut-être même que je mourrais avec les cheveux roses. Pendant un instant, j'imaginais un enterrement hors-norme, en rose et avec du metal. Au moins, ce serait un bon hommage pour ma petite vie.
Puis je ris à cette stupide pensée.
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Lucine.
— Je pensais à des conneries, de grosses conneries.
— Pourquoi ça ne m'étonne même pas de toi ?
Et de nouveau, nous échangeâmes quelques rires. Il nous en fallait peu, mais c'était peut-être ça le meilleur entre nous. Nous pouvions avoir des discussions très vives, très compliquées, parce que nos vécus l'étaient, puis il nous suffisait d'une phrase ou d'un mot pour qu'on explose de rire toutes les deux. Bien évidemment, nous nous assurions toujours si ça allait, si l'autre voulait en parler davantage.
D'ailleurs, je vis l'expression sur son visage changer et j'étais persuadée que quelque chose la tracassait. Elle faisait toujours cette tête quand elle avait envie de parler de quelque chose d'assez compliqué à aborder, même si je n'étais pas la principale concernée.
Je lui pris ses mains pour la mettre en confiance. Du moins, j'essayais. Je voulais juste qu'elle se sente suffisamment en sécurité et en confiance pour dire ce qu'elle avait sur le cœur, néanmoins, sans jamais la forcer.
— Je veux faire mon coming out à mes parents. J'ai tâté le terrain cette dernière semaine... Et j'ai l'impression que ça pourrait passer. Enfin, je pense même qu'ils ont peut-être compris depuis longtemps.
— Si tu sens que c'est le bon moment, je ne vais pas t'en empêcher. Je suis juste... inquiète pour toi.
— Ma famille m'a toujours soutenue et c'est peut-être con, mais je n'ai plus envie de leur mentir. Iels m'ont montré des tas de fois que je pouvais avoir confiance en elleux. Je sais que je ne leur dois rien, que je ne suis pas obligée de tout leur dire... mais j'en ai surtout envie.
Ne sachant pas quoi exactement lui dire, instinctivement, je la pris dans mes bras, espérant que ce soit suffisant pour la rassurer. Ou peut-être juste pour me rassurer. Il était évident que, même si elle se sentait en confiance, elle n'était pas calme pour autant.
Elle me relâcha, souriante. Il y avait toujours une pointe d'appréhension sur son visage et je savais que je ne pourrais rien y faire, malheureusement.
Elle se leva alors du lit, prête à l'annoncer à ses parents. Je ne la suivis pas immédiatement, ayant quelque chose à lui dire à mon tour.
— Diana ? m'interpella-t-elle en voyant que je me perdais dans mes pensées.
— Est-ce que je peux te faire mon coming out de bi ? demandai-je naïvement.
— N'est-ce pas déjà fait du coup ?
— Oui... mais... En fait, oui, finis-je par dire tout simplement. Est-ce que je viens de faire le coming out le plus nul au monde ? J'en ai quand même un peu l'impression.
— Au contraire, je le trouve très bien... Et puis on ne va pas sortir les ballons et les confettis à chaque fois. Enfin... C'est compliqué tout ça et à moins que tu veuilles que je te fasse un cours de socio sur le coming out, on devrait y aller.
— Sinon des sources, ça me suffit, rétorquai-je, souriante.
Elle me sourit à son tour. Ce genre de discussions, nous en avions eu des tas et à chaque fois, il y avait tellement de légèretés alors que nous aurions pu aborder des tas de sujets complexes et parfois graves. Mais j'aimais tous ces échanges que nous avions. Tout me paraissait si simple maintenant avec elle...
Alors, étant enfin prête, elle me guida jusqu'à l'étage inférieur. Ses parents étaient en train de préparer le repas du soir. Pendant quelques instants, elle hésita, ne sachant pas comment formuler ses phrases, puis elle leur avait clairement dit qu'elle était lesbienne et que nous sortions ensemble.
Ses parents sourirent immédiatement et sa mère laissa échapper un « On le savait ». Immédiatement, Lucine en eut les yeux embués et prit ses parents dans ses bras. En privé, elle m'aurait certainement dit qu'il ne fallait pas autant s'émouvoir de ce genre de réactions, que c'était un comportement normal de l'accepter. Mais ses sentiments avaient pris le dessus sur la théorie.
Ses parents se tournèrent vers moi pour m'inviter à dîner. Même s'il me connaissait déjà, ils voulaient en savoir plus sur nous deux et s'assurer que nous étions heureuses. C'était une délicate attention. Si délicate qu'elle me rappellerait que jamais je ne vivrais ça dans ma propre famille.
Heureusement que je n'avais plus aucune estime pour mes parents. C'était soudainement beaucoup plus simple d'imaginer une éventualité où aucun d'entre eux n'en saurait rien. Néanmoins, je n'avais aucun problème à m'imaginer passer plus de temps avec la famille de Lucine, à être totalement acceptée.
Après tout, ils avaient déjà commencé à m'intégrer à leur vie et à leur famille... Si seulement je pouvais rester dans ce petit cocon bien plus longtemps, ce petit nuage si moelleux qui me donnait envie de sourire rien que d'y penser.
Parfois, j'avais l'impression que rien n'allait et que ma vie pouvait être quelques fois assez catastrophique, mais, des fois, j'avais des brins d'optimisme. Des fois, je voyais qu'il y avait encore du bon chez certaines personnes. Et je commençais à espérer... à émerger de cette obscurité dans laquelle je m'étais plongée. Il était peut-être enfin temps que j'en sorte...
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Le Spleen du Cygne
JugendliteraturLe quotidien de Diana Kane alterne entre les querelles avec les professeurs - pour lesquelles elle n'est jamais punies - et les autres élèves du lycée qui ne se gênent pas pour juger le moindre de ses faits et gestes. Pour la plupart, Diana est une...