Le Spleen du Cygne

Chapitre 15 : Comme un sentiment étrange

[Musique : Izia - So much trouble]

D'habitude, je ne serais pas revenue l'après-midi même, j'aurais préféré sécher les cours. Enfin, le sport était le cours à éviter. Il était hors de question que je me pointe encore une fois à ce cours. En revanche, j'avais fait l'effort de venir en anglais.

Avant la sonnerie, j'étais allée faire un rapide tour aux toilettes pour refaire mon épais trait de crayon noir autour de mes yeux. L'endroit était vide, c'en était assez perturbant. D'habitude, c'était toujours bondé, et il y avait toujours au moins une personne, même durant les heures de cours.

Mon cœur rata un battement lorsque j'entendis le claquement de la porte, craignant que Carter me rende à nouveau visite. Les pas se rapprochèrent et je n'osai pas tourner mon regard. De par le miroir, je pus me rendre compte qu'il s'agissait juste de Rachel et je soupirai intérieurement. Ce n'était qu'elle.

Elle évitait mon regard et s'installa devant le miroir d'à côté. Elle refit son maquillage qui avait coulé sans jamais se tourner vers moi. Avec hésitation, je fis le premier pas et lorsqu'elle sentit mon regard, elle s'arrêta.

— Qu'est-ce que tu me veux encore ? lâcha-t-elle d'une voix faible.

— Je t'ai vue à Sheri's...

— Tant mieux pour toi, rétorqua-t-elle en fouillant dans son sac.

Elle tentait du mieux qu'elle pouvait de m'esquiver et j'hésitai. Devais-je insister ou pas ? Je voyais bien que quelque chose n'allait pas et malgré tous nos désaccords, j'étais prête à l'aider.

— Rachel... Je ne suis pas ton ennemie, déclarai-je d'une voix tremblante.

— Ça ne te gêne pas de briser des couples pourtant ! m'asséna-t-elle, arrêtant brusquement de fouiller dans son sac.

Elle me fusillait du regard et je commençai à croire que toute discussion ne pourrait être que vaine désormais. Je me fichais qu'elle me prenne pour la méchante, ça n'avait aucune importance, j'étais surtout attristée par son aveuglement.

— Mais... Tu ne t'es jamais demandé pourquoi Damon ne se rapprochait de moi qu'en soirée ? Tu ne t'es jamais demandé si je n'étais pas totalement bourrée à ces moments-là ? Tu ne t'es jamais demandé si... s'il profitait de moi ? Si... j'étais vraiment d'accord ?

Pour la première fois durant cette brève discussion, je voyais de la peine dans son regard. Et maintenant, j'avais peur que mes doutes soient vrais.

— Je n'ai pas envie qu'on se déteste Rachel. Je n'aime pas ces cases de populaires et de rebelles. Je sais qu'on n'a pas grand-chose en commun toutes les deux... Enfin, a priori. On a quand même Damon en commun...

La bouche entrouverte, elle était incapable de trouver ses mots et laissa juste échapper un froncement de sourcils. Et dans le fond, moi non plus je n'avais rien à ajouter de plus. J'avais probablement dit tout ce que j'avais dit. Ou du moins, elle ne m'écouterait plus.

— Si jamais tu veux me parler, n'hésite pas, annonçai-je en mettant mon sac sur mon épaule. Je ne suis pas du genre à juger...

Je crus apercevoir de la pitié – ou peut-être de la compassion – dans son regard et quittai les toilettes pour me rendre à mon prochain cours. Dès que la sonnerie retentit, des dizaines de lycéens sortirent de chacune des salles et un brouhaha emplit les couloirs qui étaient jusqu'alors bien trop silencieux. Quelques regards se tournèrent vers moi. Parmi la foule, je pus apercevoir Carter. Lui aussi m'avait vue. Mon sang se glaça et ma respiration s'arrêta un instant. Je ne comprenais pas pourquoi j'avais cette réaction en le voyant... D'habitude, je n'agissais pas ainsi. Pourquoi mon corps réagissait-il ainsi ? Pourquoi... j'avais peur ?

Brusquement, je détournai mon regard et trouvai Lucine devant la salle de cours. Dès qu'elle me sourit, je fis de même. C'était si instinctif. Et encore une fois, les réactions de mon corps m'étonnaient. Pourquoi j'appréciais sa compagnie ? Pourquoi je n'avais pas envie de l'abandonner même si je n'avais plus à être proche d'elle ?

— Tu as encore séché les cours, me fit-elle remarquer.

— Quand il y aura un vrai intérêt au cours de sport, je viendrai...

Elle ne fit aucune remarque et je me retins de lui donner ma réelle raison. Ce cours était le concentré de toutes les remarques les plus insupportables les unes que les autres. Quand j'avais compris que certains ne venaient que pour se rincer l'œil sur moi, j'avais arrêté de venir. Et si je commençais à m'en plaindre, soit on mettrait la faute sur moi, soit on minimiserait leurs actes. Alors j'avais préféré me taire et assumé l'idée d'être une mauvaise fille.

Encore une fois, ma vision fut gâchée par Damon qui était juste à quelques mètres de moi. Il ne m'avait pas remarqué et discutait tranquillement avec ses amis. Tranquillement. Il continuait de vivre comme si de rien n'était et quand son regard se posa sur moi, il m'adressa juste un simple regard amical. Simple. Amical. Et je ne pouvais pas agir comme lui. Je ne pouvais pas faire comme si de rien n'était. Plus maintenant. J'en savais bien trop désormais pour juste subir...

Je détournai alors mon regard, sans lui adresser la moindre réponse non verbale. Lucine sembla s'inquiéter mais elle n'eut pas le temps de faire la moindre remarque. Le prof venait tout juste de nous ordonner d'entrer. Mais alors que j'étais sur le point de franchir le seuil de la porte, une main se posa sur mon épaule. Évidemment, il ne pouvait s'agir que de Damon.

— Hey Diana ! Je ne t'ai pas vue aujourd'hui ! s'exclama-t-il comme s'il attendait quelque chose.

— Voilà chose faite, rétorquai-je froidement en enlevant sa main. Et demande-moi l'autorisation avant de me toucher, ça serait préférable.

— Tu es vraiment de mauvais poil... Que se passe-t-il ?

— Je vois que tu as la mémoire courte, déclarai-je sans la moindre forme de sympathie.

— Ce n'est pas grave, on avait tous bu. Aucune importance...

Mon visage se décomposa et je secouai la tête tout en cherchant mes mots. Venait-il vraiment de dire ce que j'avais entendu ? Si nous n'étions pas en plein milieu du couloir, je ne me serais pas gênée pour lui coller une énorme gifle, parce que c'était tout ce qu'il méritait.

— Ne me dis pas que Rachel a déjà dit de la merde sur mon dos et que tu t'es mise à la croire, ajouta-t-il en voyant ma tête.

Comme je m'en doutais, il s'était passé quelque chose entre eux et je craignais que mes doutes ne soient qu'une atroce réalité. Alors que je m'apprêtais à lui hurler dessus – enfin, même calmement, il penserait que je hurle –, le prof sortit de la salle et nous ordonna de nous installer. Ne pouvait-il pas ignorer notre altercation comme n'importe quel prof le ferait ?

Un soupir et les yeux au ciel, je rentrai dans la salle tout en me promettant de ne pas le laisser s'en tirer aussi facilement...