Le Spleen du Cygne

Chapitre 10 : Au prochain tournant

(Musique : Florence and the machine - Long & Lost)

Après avoir passé tant d'années en cours, il était assez facile de conclure que tous les jours de cours se ressemblaient tous et étaient tous plus chiants les uns que les autres. Et pourtant, j'avais énormément de patience. Enfin, du moins, la plupart du temps. Alors, le début du week-end était toujours une libération et d'autant plus lorsque Lucine m'accompagnait à la fête de Damon ce soir. Je la connaissais à peine et déjà, j'avais l'impression de m'être bien trop attachée à elle. Mais il était tellement rare de trouver quelqu'un de féministe dans ce maudit lycée que forcément, j'avais envie de me rapprocher d'elle, surtout quand elle m'apprenait des tas de choses.

Independance High School était rempli d'hypocrites. Certains se prétendaient féministes... Enfin, humaniste, égalitaire ou autre terme tout aussi con, parce que, je les cite, "je veux l'égalité moi". Si j'avais un dictionnaire sous la main, je ne me gênerais pas pour leur lancer à la figure en leur précisant de chercher "féminisme" pour comprendre leur connerie. Parfois, je n'avais pas de temps à perdre à enjoliver mes mots...

Lucine m'envoya un message dans la matinée pour me demander l'adresse de Damon. Nous avions rapidement prévu de nous retrouver sur place aux alentours de dix-huit heures. J'étais persuadée que l'ambiance excentrique allait la déstabiliser et j'avais intérêt à être là pour la rassurer.

En descendant au rez-de-chaussée, je vis ma mère en pleine conversation téléphonique dans le salon. Visiblement, elle semblait sur les nerfs. Après tout, nous ne nous étions pas reparlé depuis notre dernière altercation. Je n'avais aucune envie de sympathiser avec elle et c'était pareil de son côté. De nouveau, cette situation m'attrista quelque peu. Tout le monde pensait que c'était l'absence de mon père qui me gênait le plus. Non, il avait fait ses choix, certes, mauvais, mais tant pis pour lui. Ce qui me gênait réellement était l'absence émotionnelle de ma mère. J'avais constamment l'impression de n'être face qu'à un robot qui essayait tant bien que mal d'amasser le plus de fric possible.

Elle raccrocha et remarqua alors ma présence. Immédiatement, j'effaçai ma mine contrite et prétendis que tout allait bien. Comme toujours. Mon visage était sûrement mon pire mensonge. Comme tout adolescent face à ses parents, je suppose.

— Diana, je vais devoir partir pour le travail, m'annonça-t-elle froidement.

J'aurais pu répondre par une simple réponse affirmative, mais je me contentai de hocher la tête, c'était déjà suffisant.

— Les Black Birds sont sur un nouvel album, je dois les accompagner, poursuivit-elle.

— Tu n'es pas obligée de me donner les détails.

— Je m'en vais dans l'après-midi, reprit-elle de plus belle.

Elle se fichait clairement de mon ressenti, alors de nouveau, je me contentai de hocher la tête et me dirigeai vers la cuisine pour me faire un café.

Et comme convenu, ma mère quitta la maison avec son habituelle valise et crut qu'un simple "au revoir" était suffisant et innocent. Pourquoi persistait-elle à agir comme si de rien n'était ? Si un jour j'apprenais que ma mère avait été remplacée par un robot, j'en serais à peine étonnée. Malheureusement, j'étais bien trop réaliste pour laisser la moindre chance à cette stupide hypothèse.

Dès son départ, je commençai à me préparer. Le maquillage fut la partie la plus facile. J'avais, comme toujours, abusé du crayon noir autour des yeux et du mascara. Plus mon maquillage paraissait abusif aux yeux de la société, plus il me plaisait. Quant à ma tenue, ce fut une tâche bien plus ardue. J'avais fouillé dans toute ma garde-robe jusqu'à trouver la robe idéale. Une robe noire, moulante en simili cuir et au décolleté plongeant. Il était évident que j'avais acheté cette tenue en cachette et que j'espérais que ma mère ne tombe jamais dessus. Il en était de même pour mes hautes bottines aux talons aiguilles. Comme toujours, la provocation avait un goût bien trop délicieux à mes yeux pour que je l'abandonne.

Mes cheveux. Je ne savais qu'en faire. Après tout, ils étaient très bien détachés avec leurs mouvements irréguliers. Ma tenue ne plairait pas à certains, et je m'en fichais totalement. Peu importe qu'on me traite de pute le lendemain...

Alors que j'étais en route pour la maison de Damon, Lucine m'envoya un message comme quoi elle était déjà arrivée et je ne tardais pas à la rejoindre devant le lieu de rendez-vous. Elle arqua un sourcil en me voyant arriver puis sourit.

— Visiblement, tu ne t'es pas perdue, lançai-je naturellement.

— Pourquoi je me serais perdue ?

— Hum... Je disais ça pour lancer la conversation à vrai dire. Tu sais... C'est le genre de banalités qu'on aime tous dire pour prétendre qu'on est doué socialement.

Nous échangeâmes un bref rire à ma remarque. D'habitude, je n'agissais pas ainsi, mais l'atmosphère de la fête devait déjà avoir une influence sur moi.

— Tu crois que ça va si je garde mes lunettes ? me demanda-t-elle, inquiète.

— Si les gens osent te juger pour les lunettes, ce sont des cons, rétorquai-je en levant les yeux au ciel. Et puis, tu en as besoin pour voir, enfin, je suppose...

— En effet. C'est juste que les gentes n'aiment pas trop ça d'habitude.

— Eh bien les gens– les gentes sont cons, rétorquai-je d'un ton presque un peu trop sérieux. Il va falloir que je me renseigne davantage sur l'écriture inclusive. Ça a l'air cool mais je ne comprends rien.

— J'ai tout un tas d'articles et de vidéos à ce sujet, je suis sûre que ça te plairait, s'enthousiasma-t-elle, tout sourire.

— Ce serait avec plaisir... Mais avant, on a une soirée assez chargée...

C'était bien la première fois que j'avais l'impression que ma vie était sur le point de prendre un énorme virage, ce qui était à la fois plaisant et perturbant, d'autant plus que je savais qu'il n'y avait pas de retour arrière...