Chapitre 31 : À l'envers

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[Musique : Tom Odell - I know]


Après avoir quitté précipitamment le bureau du proviseur adjoint, je m'étais installée sur un banc et avais allumé une clope, les mains tremblantes. J'avais bien cru me brûler les doigts à de nombreuses reprises. Et cet état m'énervait. Jamais je n'étais ainsi. Puis j'avais enchaîné plusieurs clopes en espérant me calmer. Si quelqu'un me voyait, il râlerait sur notre jeunesse dépravée... Mais je m'en foutais. J'avais une guerre dans mon esprit à calmer et qui ne cessait de s'amplifier minute après minute.

Et quand je levai les yeux, j'aperçus Saphira. Finalement, elle voulait vraiment poursuivre notre conversation. Tant mieux, j'en avais envie aussi. Je l'invitai à s'asseoir, mais elle refusa, ayant du mal avec l'odeur de la cigarette. Par respect pour elle, j'éteignis ma cigarette et la jetai dans la poubelle à proximité.

— Je t'ai entendu tout à l'heure, lâcha-t-elle en s'asseyant à mes côtés.

— En même temps, j'ai un peu élevé la voix...

— Tu avais raison de le faire, m'assura-t-elle. Y a rien qui va dans ce lycée...

Je hochai silencieusement la tête. J'avais tellement de choses à dire, mais tout restait coincé dans ma bouche, et j'étais incapable de prononcer le fond de ma pensée. Cette sensation était assez atroce, surtout parce que j'étais du genre à ouvrir régulièrement ma gueule pour tout et rien.

— D'ailleurs... Pourquoi tu lui as demandé s'il s'en prenait aux élèves qui visaient des filières artistiques ? Ça n'a rien de mal de travailler dedans...

— C'était stupide, c'était pas ce que je voulais dire. Je suis désolée si c'est ton cas, je ne voulais pas te blesser... Je supposais juste qu'il s'en fiche en fait de notre choix, même quand c'est quelque chose que la société n'aime pas trop...

— Pourtant, il m'a fait chier avec ça, rétorqua-t-elle.

— Désolée de t'avoir blessée, insistai-je une dernière fois.

— Non, ce n'est rien... Je ferais mieux d'écouter mes parents...

Elle baissa son regard et pendant un instant, je la fixai. Je me sentais mal pour elle.

— Ce n'est pas rien, la contredis-je alors qu'elle se tourna vers moi. Tes parents n'ont pas forcément raison... C'est ton avenir, tu en fais ce que tu veux.

— Je ne suis même pas sûre de ce que je veux faire...

— Comment être sûr de l'avenir ? Comment être sûr de quelque chose qui n'est pas passé ? lâchai-je d'un air malin.

Elle sourit à ma remarque et n'ajouta rien de plus. Visiblement, j'avais réussi à lui faire comprendre quelques trucs, on était sur la bonne voie. Et toutes les tensions qui avaient pu exister un jour entre nous s'étaient évaporées, ce que je commençais vraiment à apprécier.

— Ce n'est pas facile de s'opposer à ses parents, finit-elle par dire, maladroitement.

— En effet.

Je ne pouvais que le confirmer. Les rares fois où j'osais l'ouvrir face à ma mère, je finissais par le regretter. Et mon père, j'avais à peine eu le temps de me confronter à lui.

Visiblement, la famille n'était pas toujours un lieu agréable pour tout le monde contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire.

— Sinon... On a été interrompues tout à l'heure, lui rappelai-je avec un peu d'hésitation.

— Oui... À propos de ce que Rachel m'avait dit... En fait, elle pensait que Damon et sa bande nous avaient montées contre toi.

Je pris quelque temps pour digérer son information. J'avais un peu de mal à y croire. Après tout, je n'avais jamais contesté ce système de populaire et de rebelles. En tout cas, je ne pensais pas que quelques personnes puissent être à l'origine de mon statut ainsi que de celui d'autres personnes.

— C'est absurde, lâchai-je aussitôt.

— Diana, avant que tu sortes avec lui, t'étais rien. Après, tu es devenue cette fille que tout le monde déteste...

— Peut-être parce que j'étais considérée comme une pute ? Peut-être parce que j'étais assez libre dans ma vie sexuelle et que peu de gens le comprennent ? lançai-je, naïvement.

Elle fronça les sourcils. Elle semblait bien plus convaincue que moi de cette hypothèse.

— Et tu en gagnais quoi en fait ? J'ai pas l'impression que tu étais vraiment gagnante dans cette histoire...

— On n'est jamais gagnante dans ce genre de situation, rétorquai-je immédiatement.

Elle n'avait pas l'air de comprendre mon allusion. Peu importe, je n'avais pas envie de lui faire un cours sur le féminisme dans l'immédiat et ce n'était peut-être pas le meilleur moment pour en parler.

— Avec Rachel, on était d'accord pour emmerder Damon et ses amis. Alors, peut-être que traîner ensemble serait suffisant, proposa-t-elle, ce qui me fit échapper un haussement de sourcil.

— Serais-tu en train de sous-entendre que je puisse traîner avec toi et Rachel dans l'unique but d'énerver mon ex ? En vrai, c'est une offre très tentante, mais je doute que ce soit une bonne idée. Et je doute aussi qu'on arrive à la mettre en place. Ça fait depuis pas mal de temps qu'on ne s'entend pas, ça ne va pas changer du jour au lendemain...

— Je sais bien qu'on ne sera pas les meilleures amies du monde, mais ça vaut le coup d'essayer... Au moins pour apprendre à se connaître.

Son sourire était sincère. Du moins, il me paraissait totalement sincère et j'avais envie de la croire. J'avais envie de croire à une entraide entre filles, et tout ça me semblait être presque un rêve. Les choses commençaient à se dérouler avec beaucoup trop de facilités pour que je ne m'en inquiète pas. Néanmoins, je lui rendis son sourire et ajoutai :

— Je suis partante.

Le Spleen du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant