Chapitre 23 : Aux yeux des autres

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[Musique : Cigarettes After Sex - Bubblegum]

De tout le week-end, je n'avais pas eu la moindre nouvelle de Lucine. Je n'avais que brièvement parlé avec Sani, nous reprenions le contact petit à petit et nous nous redécouvrions. Le lycée nous avait métamorphosés chacun à notre manière. Mais la bonne entente entre nous était restée.

Durant le trajet jusqu'au lycée, je lui envoyais des messages alors qu'il était en cours. Il savait qu'il transgressait les règles, mais il s'en fichait. Il voulait qu'on se parle et j'en avais tout autant envie. Contrairement à ce que j'avais pu penser samedi et ce que j'avais pu en voir, Sani subissait du harcèlement. La plupart l'attaquaient pour ses origines et sa religion pour des raisons absurdes. Voyant qu'il avait besoin de se soulager de tout ça, je ne fis que lire ses messages sans le forcer à parler et sans faire la moindre remarque.

Depuis que j'avais échangé quelques discussions à propos de féminisme et d'intersectionnalité avec Lucine, je commençais à prendre conscience qu'il fallait que je me taise sur certains sujets, en particulier quand ceux-ci ne me concernaient pas.

Soudainement, mes pensées se dirigèrent vers Lucine et mon regard se perdit dans l'horizon. Je sentais encore la pression de ses douces lèvres sur les miennes. Mais peut-être que l'alcool avait rendu ce baiser bien plus étrange. Après tout, je l'avais déjà embrassée, bien que ce soit pour un défi.

En arrivant au lycée, je me fis fin à ma discussion avec Sani, devant me rendre dans le bureau du proviseur adjoint. Celui-ci allait sûrement me réprimander pour les évènements de samedi. Il allait également, comme toujours, tenter de joindre ma mère, ce qui serait un échec. J'en serais à peine étonnée.

Dans la salle d'attente, la secrétaire me dévisagea. Beaucoup d'habitudes étaient encore bien trop présentes. En quelques mots, elle me demanda la raison de ma venue et ma réponse fut aussi courte que sa question. Je n'avais pas trop envie de discuter avec quelqu'un qui me jugeait uniquement à cause d'apparences.

Au moins, je ne dus pas supporter très longtemps cette atmosphère un peu trop gênante puisque le proviseur adjoint m'invita à entrer dans son bureau, ce qui je fis immédiatement, n'ayant pas encore de raisons pour râler. Chacun s'assit, l'un en face de l'autre, et à en voir sa tête, ça n'allait pas être une conversation amicale.

— Diana, sais-tu pourquoi tu es convoquée ? m'interrogea-t-il, sûrement en espérant que je nie.

— Ça serait idiot de tourner autour du pot, alors oui, j'ai ramené une bouteille d'alcool au match de samedi et j'étais ivre.

— C'est ce qu'il s'est passé en effet, affirma-t-il.

— Évidemment, j'étais là.

— Diana, ce n'est pas le moment pour les sarcasmes...

J'avais, encore une fois, envie de le contredire, mais nous n'étions pas au même niveau dans cette discussion, ce qui serait donc totalement inutile, et me reviendrait juste en pleine gueule.

— Ce comportement n'est pas toléré par le lycée et enfreint de nombreux points du règlement, ajouta-t-il, essayant d'y mettre suffisamment les formes pour ça m'effraie. Je vais devoir convoquer ta mère.

Si je pouvais rire, je l'aurais fait sans hésiter. La fin de l'année arriverait bien avant qu'il ne puisse obtenir un rendez-vous avec ma mère. Sachant qu'il n'avait aucune chance, je restai neutre, faisant presque mine de craindre ses menaces. Vivement que je quitte ce lycée à la con...

Je me retins également de lui faire remarquer qu'il avait arrêté les punitions beaucoup plus inventives. Il comprenait bien que rien ne marchait avec moi, il me considérait sûrement comme un cas désespéré depuis longtemps. Et comme j'avais le privilège de vivre dans un milieu riche, je ne risquais pas un renvoi. Oui, même dans un lycée public qui ne devrait pas dépendre de l'argent des familles. Les illusions...

— D'accord, lâchai-je faiblement.

— Tu peux disposer, m'annonça-t-il.

J'arquai un sourcil. C'était tout ? Il me rappelait brièvement le règlement et prévoyait juste de convoquer ma mère. Ses méthodes me paraissaient tellement laxistes, mais peut-être qu'il n'est pas trop dans une optique restrictive. Peut-être même que j'ignorais ses réelles manières d'agir...

Sans dire un mot de plus, je quittai le bureau, presque déstabilisée. Je faisais à peine attention aux regards aux alentours. Je n'avais même pas pris la peine de fixer cette secrétaire ni même tous ces lycéens qui attendaient le début de leur cours. Malheureusement, ce rendez-vous n'allait pas me permettre de louper le début d'un cours, alors autant prétendre qu'il avait duré bien plus longtemps que prévu.

Alors, je pris cinq minutes à l'extérieur pour fumer une cigarette. Depuis mon coin, je pouvais apercevoir tous ces lycéens qui s'empressaient d'aller en cours, tous ces lycéens qui ne pouvaient pas se permettre le moindre écart... toutes ces personnes dont je ne saurais rien de leur vie d'un simple coup d'œil.

Quand Damon me salua, il était évident que personne ne le décrirait de la même manière que moi. Personne ne saurait que ce garçon bien-aimé de tout le lycée, adulé par toutes les filles, n'était autre qu'une enflure de première. Personne ne saurait à quel point il peut être toxique.

Quant à Carter qui l'accompagnait, il était tout aussi apprécié alors que ce mec était violent. Les dernières fois que je l'avais croisé me laissaient encore des frissons.

Et ces deux-là paraissaient adorables aux yeux de tous...

Puis mon regard se posa sur Lucine, ce qui me fit immédiatement sourire. Mais elle ne me remarqua pas, sûrement bien trop concentrée à rejoindre la salle de cours. Alors j'éteignis ma cigarette en l'écrasant en vitesse au sol et tentai de la rejoindre, ignorant les stupides commentaires.

Cependant, je fus assez perturbée de voir que Lucine s'était installée à une table, seule. Ce n'était pas notre table habituelle. Voulait-elle m'éviter ?



[Sources : CCIF - Collectif contre l'islamophobie en France : http://www.islamophobie.net/]


Le Spleen du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant