Mercredi matin
Depuis que nous sommes rentrés de New York, je me réveille tous les matins, la bouche pâteuse, les yeux gonflés par le manque de sommeil et la désagréable impression de ne pas me sentir chez moi alors que je suis bien allongée dans mon lit. Allen n'est pas à mes côtés, nous nous évitons quelque peu depuis une dispute désagréable que nous avons eu dans les heures qui ont suivies mon retour. Des remarques, des constats et des mots plus hauts que d'autres se sont élevés dans l'appartement et je lui ai demandé de me laisser tranquille quelques temps, que j'avais besoin d'être seule quelques jours. Et en merveilleux petit-ami qu'il est, il reste dans son appartement, la porte à côté du mien.
Le soir, quand je suis allongée dans le lit, les lunettes visées sur le nez, a frappé sur mon ordinateur, je peux l'entendre à travers le fin plâtre. Nos têtes de lit se font dos à dos, de manière que, malgré le mur qui nous sépare, nous sommes presque crâne à crâne lorsque l'on dort. À une époque, ce détail m'amusait beaucoup. Aujourd'hui, je ne cesse de penser à ma trahison et le savoir si proche me dégoûte de ma propre personne. Je me vois en permanence sale, je passe ma vie à me laver les mains comme pour me nettoyer d'un péché. J'ai clairement honte.
Mais en même temps, je sais que ça fait des mois que notre couple est poussé à bout. Je ne peux pas que le blâmer. Je fais entièrement parti du problème. Entre sa jalousie maladive et ma tendance tête brûlée incapable de m'engager à long terme, je sais que je l'écrase, m'impose toute entière sans lui laisser de place. Il se plie à moi tandis que je n'arrive pas à... À me sortir de la tête cette foutue soirée de merde avec Luke.
Aller au travail et savoir que mon collaborateur va être proche de moi est un vrai supplice. Lundi et mardi sont passés avec une lenteur sans précédent. Chaque moment à deux me bousille l'esprit petit à petit. Je vous jure, j'essaie de faire comme si de rien n'était, ça ne fait que deux semaines que nous nous connaissons après tout. De son côté, Luke a l'air d'avoir déjà bien tourné la page, déjà amer face à ses deux relations qui se sont soldées par des échecs cuisants. Je le vois complètement dévoué à son travail. Enfin, c'est ce qu'il laisse transparaître la plupart du temps. Il a un tableau immense de notes que nous poursuivons ensemble dans son bureau, un travail titanesque et s'il avait un podomètre avec lui en permanence, je suis sûre que ses performances de kilomètres parcourues par jour dépasseraient les attentes. Seul son visage trahit de temps en temps une fatigue morale qu'il s'efforce de mettre de côté. Alors il court partout à travers la ville et passe de nombreux coups de fil. Nous ne nous parlons que lors qu'il est nécessaire. Notre collaboration commence mal et je culpabilise aussi pour ça.
Je me sens ridicule de m'accrocher à cet instant mais d'un côté je crois qu'il a déclenché quelque chose qui me fait réaliser que, peut-être, je ne suis pas destinée à pourrir la vie d'Allen. Je l'aime trop pour lui faire ça. Et en même temps, le libérer de moi me terrifie. Ça fait tellement longtemps que nous sommes ensemble, nous avons vécu tellement de belles choses, fait les quatre cent coups, eu des éclats de rire, des moments durs. Et ça me brise le cœur de devoir renoncer à cette sécurité d'être avec quelqu'un. D'être avec lui.
J'ai beau juré comme une charretière, joué à la battante, à l'indépendante, je ne me sens pas en confiance sans lui qui gravite autour de moi. Alors je suis dans une impasse. Si seulement il savait ce qui me tracasse. Une partie de moi le voudrait avec mes côtés, pour me rassurer, embrasser la base de ses cheveux, dessiner des cercles sur mon bas ventre. Mais de l'autre, je deviens obsédée par le goût des lèvres de mon partenaire au travail. Ses cheveux brossés en arrière, la veste de costume qu'il arbore même durant ces grandes chaleurs saisonnières, avec son jeans et la paire de lunette de soleil qu'il traîne toujours avec lui.
VOUS LISEZ
Café Noir et Sucrette [Tome 2]
ChickLitQuelques mois après l'histoire racontée par Olivia Lawford, l'assistante d'un grand dirigeant d'une entreprise dans l'audiovisuel, Mediatics, à New York, voici celle d'une apprentie journaliste, Elie Cobb, de l'autre côté du pays, à Portland, Oregon...