Café Noir et Sucrette [Tome 2]

Chapitre 36 : Ce sera sans moi

Lorsque l'on m'a remis l'adresse de rendez-vous avec Riley, j'ai manqué de m'étrangler de rire. Qu'est-ce qui peut être plus cocasse que de se rencontrer juste en face du tribunal, le "Pionner Courthouse", de Portland, dans la situation actuelle ? C'est un sacré pied de nez au monde de sa part et je m'incline devant l'idée. Je fais les cent pas en attendant sa venue, tête baissée, les yeux rivés sur mon téléphone. Ça fait quelques jours que je passe mon temps à vérifier si l'on ne m'appelle pas, si je reçois n'importe quel message ou e-mail. Je suis complètement accro. Surtout depuis qu'il est parti, presque immédiatement après la visite de notre couple préféré...

J'ai quitté Astoria dès le retour de mes parents en ville. Il était grand temps de plier bagages, il fallait que je revienne à la vie en appartement, seule. Et honnêtement, je n'ai pas eu envie de subir plus longtemps le compte rendu de notre visite chez papa et maman. Savoir ce qu'ils ont pensé de lui me tord le ventre. Et s'il ne les avait pas plu ? Ou qu'il a tellement été apprécié que mes paternels n'attendent plus que l'annonce de notre mariage. J'ai envie de vomir à cette pensée.

Luke est donc finalement parti le lendemain, histoire de retourner chez lui préparer ses affaires pour le voyage mais surtout pour trouver des excuses à son absence de presque un mois. D'après lui, ses voisins ne l'ont jamais vu partir aussi longtemps et on risque de lui poser beaucoup de questions. De plus, il a encore des amis au Weekly qui pourraient se demander si nous n'avions pas passé les vacances ensemble. Partir en décalé a semblé être la meilleure option. En arrivant chez moi, j'ai essuyé une peine immense juste pour passer le pas de la porte. Trop de souvenirs d'un coup, beaucoup de regrets et une pointe d'écœurement. Je crois que je me suis rendue compte que les quatre murs où j'ai vécu ses dernières années me sont devenus vecteurs de tristesse mais surtout le reflet de mes échecs. Professionnels et amoureux. Il a fallu que je sorte de cette torpeur, que je commence à nouveau chapitre de ma vie et ce n'est pas dans un appart comme celui-ci que je peux le faire.

Alors j'ai pris une décision radicale. J'ai décidé de prendre mon envol et partir vivre autre part. J'ai 28 ans et le monde est encore à ma portée, du moins je l'espère. Quand je n'ai pas le nez collé à mon téléphone portable, je remplis des cartons, je trie ce que je n'emmène pas avec moi et je fais le deuil de ses années en Oregon. Le monde change et moi aussi, pour être meilleur dans l'idéal. Une Elie 2.0. Mais plus je range ma vie dans des boîtes, plus je réfléchis à mon point de chute. Je ne sais toujours pas où aller. Est-ce que je devrais rester ici, à Portland, ou partir visiter un nouvel état ? On m'a dit que Chicago était très jolie. Je pourrais passer de longues après-midis au bord du lac qui ressemble à la mer, un verre en carton rempli de café bio dans la main, ou je ne sais quoi encore.

Je me ronge un ongle, contrariée. Tous ses changements, tous ses tracas en trois mois de temps m'ont complètement lessivés, mais lorsque tout sera fini, je pourrais enfin me poser dans un lieu loin d'ici... Cependant il y a quelque chose, ou plutôt plusieurs personnes qui me retiennent encore. Ma famille premièrement, mes amis ensuite et probablement Luke. Non, pas probablement Luke, c'est sans aucun doute Luke. Comment vais-je lui annoncer que je mets les voiles ?

   " Hey Elie ! Une voix familière me sort de mes tracas en tapotant mon épaule tandis que je me retourne. Désolé d'avoir un peu de retard, j'ai eu du mal à m'organiser entre les valises et les visites incessantes d'au revoir de mes voisins. Ils sont persuadés que je retourne à Londres et j'aurais bien aimé arrêter de leur mentir pour une fois..."

Riley est rayonnante dans sa petite robe légère qui oscille entre l'élégance et le brin de folie colorée. Elle replace ses grandes lunettes de soleil sur son nez et je l'invite à s'asseoir sur les marches du parvis. Nous nous installons et après quelques banalités rapides, nous entrons dans le cœur du sujet: