Mal à l'aise, je m'écarte, espérant que la distance réduira ce que je ressens à cet instant précis. Je me gratte la base de la mâchoire jusqu'à sentir une brûlure vivace. Luke secoue la tête, excédé puis prend place dans son siège de bureau, les coudes contre la surface de celui-ci, les mains rassemblées en prière contre sa bouche. Ses sourcils froncés, il ferme les yeux quelques secondes:
" Il faudra bien crever l'abcès à un moment ou un autre Cobb, et le plus tôt ça sera fait, plus vite on pourra avancer dans le bon sens. Il se racle la gorge. Dans le cas contraire, ça ne sert à rien de poursuivre notre collaboration. Il ouvre les yeux et se tourne vers moi. Et j'ai cru comprendre que ce n'était pas une solution envisageable pour toi."
Je secoue la tête en silence. Il n'a pas tord. Je pousse un soupir puis tire une chaise pour lui faire face. Luke Hoffman se réinstalle droitement dans le fond de son assise, en attente. Je frotte ma cuisse puis me lance, un peu perdue:
" Je ne sais pas vraiment par où commencer car tout est un peu en bordel là-dedans, je pointe mon crâne du doigt, mais je pense qu'il faudrait que j'aille directement au point fâcheux.
- Je t'écoute.
- Ça va te paraître stupide mais j'ai du mal à oublier la soirée à New-York que nous avons passé dans ce bar, ou club, je ne sais plus trop et ça n'a pas vraiment d'importance de toute façon. Luke fronce les sourcils, surpris. Je sais bien que l'on en a déjà parlé mais tu as complètement balayé le sujet de la main et ça me pose problème ! Il est clair qu'on était tous les deux bien éméchés et donc pas dans nos états normaux mais quand bien même, ça me trotte dans la tête en boucle et ça devient impossible de me tenir dans la même pièce sans me revoir dans, je tousse, bref, tu as compris..."
Luke se remue, mais ne montre aucun signe de gêne. J'ai un besoin incroyable d'aller me cacher quelque part, n'importe où pour ne pas avoir à poursuivre cette conversation. C'est viscéral.
" Je ne veux pas en parler parce que tout ça, c'est juste ridicule. Alors oui, certes j'y repense, et ça aurait probablement été agréable si je n'avais pas été complètement bourré et sans le goût de l'alcool dans la bouche mais malheureusement ce n'a pas été le cas. J'ai même du mal à m'en rappeler réellement. Il se penche sur son bureau, fuyant mon regard. Je ne veux pas te donner de faux espoirs Élie, je sors d'une relation comme tu l'as si bien vue et je crois que je vais me passer des amourettes pour le moment. J'ai légèrement tendance à être insupportable comme toi alors s'il se passait quelque chose, se serait juste une bombe à retardement. Et puis regarde, un dérapage et ça nous pourrit l'ambiance de travail ! Je ris légèrement jaune avec lui, tout aussi tendu que moi. Excuse-moi, je suis fautif et ça me tue de te mettre dans ces états. Aussi flatteur que ça puisse être pour moi, je pense qu'il faut que tu te sortes ça de la tête, aussi difficile que ça puisse l'être."
Je soupire, libérée d'un poids sur la poitrine. Je suis rassurée, même si mon égo en prend un coup.
" Je suis si insupportable que ça ? Fais-je, feignant d'être offusquée.
- Je crois qu'on est imbattable à ce jeu là. On s'est bien trouvé au final. Il se lève et se place dans la chaise à côté de la mienne. Il me tapote l'épaule gentiment, presque comme s'il agissait comme un frère. Je m'excuse encore, c'était irresponsable de ma part. Peut-être que dans dix ans nous serons toujours collègues ou bien amis et on rira de cette situation, non ?"
Il rit aux éclats, dévoilant un sourire radieux. J'ai une petite bouffée de chaleur puis j'ajoute au tac au tac, prenant tout ceci au ridicule:
" Qu'est-ce qui te dis qu'on sera amis, on va peut-être s'entretuer d'ici là !"
Il cligne de l'œil puis je me lève, désireuse de clore la situation:
" Je crois qu'on a finit avec mes états d'âme, reprenons le boulot monseigneur Hoffman, je lui tends la main qu'il attrape en se levant à son tour.
- J'en serais ravi lady Cobb. Il y a du pain sur la planche. Finit-il en se tournant vers le grand tableau en liège."
Alors que je m'installe à ses côtés pour poursuivre nos études, mon téléphone vibre contre ma cuisse. Un nouveau message inconnu.
" Merci pour ce que tu fais pour nous, j'aimerais reprogrammer un rendez-vous rapidement mais juste toi et moi. Nous discutons de ce que j'ai appris et que je ne pouvais pas dire en présence de notre connaissance mutuelle. Je repars bientôt à l'autre bout du pays, dis moi quand tu peux être libre.
Bien à toi, celle à l'autre bout du combiné."
Je fronce les sourcils, je ne pensais pas qu'on irait si vite. Je referme le téléphone, pensive et croise les bras tandis que Luke s'arrête de parler.
" Tu n'as pas écouté je suppose ? Je hoche la tête négativement et il soupire en regardant ma cuisse ou se trouve mon téléphone. Je suppose que c'est à propos de qui tu ne veux pas me parler, n'est-ce pas ?
- Certaines choses doivent rester dans l'ombre un maximum pour le moment Hoffman, même pour toi.
- J'espère que ça vaut vraiment le coup pour que tu ne puisses pas m'en parler tout de suite.
- Tu ne crois pas si bien dire. Mais jusqu'à ce que l'on me donne autorisation, tu n'en sauras rien, même si ça me désole de ne pas pouvoir tout dire."
Je déglutis tandis qu'il reprend. Je perds légèrement mon sourire, je crois qu'il faut que je parle de Luke à Olivia, je ne peux pas rester dans cette situation longtemps, ce serait contre-productif. Je dévisage le dos de mon collègue qui s'active, énergique malgré la chaleur qui règne dans cette pièce. Tout ça va devenir fort compliqué. Je serre mon carnet contre ma poitrine, il faut que je lui parle au plus vite.
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Café Noir et Sucrette [Tome 2]
Chick-LitQuelques mois après l'histoire racontée par Olivia Lawford, l'assistante d'un grand dirigeant d'une entreprise dans l'audiovisuel, Mediatics, à New York, voici celle d'une apprentie journaliste, Elie Cobb, de l'autre côté du pays, à Portland, Oregon...