Chapitre 49 : Deux voies pour deux voix

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En retard. En retard. En retard de ouf ! Je me répète en arrivant en courant à l'entrée du bon terminal, mes clefs de voiture d'une main, et mon téléphone mentionnant le lieu où je dois aller de l'autre. Mon réveil n'a pas sonné, encore. De surcroît, même en pleines vacances, la circulation est toujours aussi désastreuse. Les travaux d'été sur la Grand Central Pkwy m'ont rendu dingue une demi-heure de plus que prévu. J'arrive dans le terminal 4 en sueur, pour ne pas dire avec cette impression de moiteur extrême comparable à une cascade, et d'une humeur matinale peu commune. Une ou deux étapes de mon réveil ont été sautées, à savoir les deux ou trois cafés. Qui, à l'heure où je vous parle, apparaissent plus comme des solutions de réanimation que comme de simples breuvages. Sauté pour une raison stupide que tout le monde dans sa vie a vécu au moins une fois, le réveil qui ne sonne pas.

L'aéroport grouille de monde, de voyageurs, de travailleurs, de passants, de chauffeurs et de gens. Tout ce beau monde s'infiltre autour des panneaux d'annonces, des restaurants ou encore autour des chaises laissées à disposition des voyageurs en correspondance. J'observe tout de cette satanée effervescence, qui même postée depuis les rambardes du premier étage ne prête attention à rien.  Un grain de sable au milieu d'un désert. Je tente tant bien que mal de savoir où je vais, soit vers les indications de portes de débarquements. Quel bourbier. J'espère qu'il n'a pas trop attendu... J'espère que cet idiot n'a pas osé prendre un taxi. Suite à nos quelques échanges de la veille, je me rends compte que j'ai oublié de lui reconfirmer que je venais bien le chercher aujourd'hui. Et, vous pouvez me croire sur parole, s'il est monté dans une autre voiture que la mienne c'est officiel il dort dehors.

Luke, où es-tu bon sang ...

J'effectue un tour sur moi même, ne sachant pas où donner de la tête exactement. Ne trouvant pas plus d'indications sur la localisation de mon voyageur, je me mets malgré moi à observer l'espace dans lequel je me trouve. Toutefois sans pour autant y voir plus de choses qu'à mon arrivée. Non loin de là, jeter fois ce n'est plus l'architecture moderne ou les gens que je parcours : mon esprit vagabonde vers la raison de ma présence ici à une heure aussi matinale.

Je me rappellerai toujours de nos mains l'une dans l'autre immobiles depuis de longues secondes, tout comme nos regards. Il était temps de se dire au revoir, et j'étais résolue à la prendre cette décision d'adulte. Le choix de le laisser partir vivre son plus grand rêve au détriment des sentiments que nous pouvions avoir l'un pour l'autre. Le genre de résolution douloureuse mais nécessaire pour le bien commun. Il en aurait fait de même si les situations avaient été inversées. Le genre de condamnation, où tu sais que seul le temps parviendra à rendre l'absence moins pesante, mais qu'il vaut le coup si c'est pour ne plus rendre l'autre malheureux. Je me rappelle du visage de Luke perplexe observant nos mains toujours jointes :

Notre poignée de main est ferme, professionnelle.

" Et toi, amuse-toi bien à New-York...

- On se reverra tous les trente-six du mois."

Sa référence à notre conversation dans la cuisine m'a fait instantanément sourire. J'ai essayé. Je le jure que j'ai essayé d'être raisonnable et de tout laisser derrière moi sans un regard. Seulement, quelque part au fond de moi je savais que je ne voulais pas être raisonnable. Que j'en étais incapable. J'avais essayé ce mode de vie. Qu'une vie de solitude morbide n'était pas aussi faite pour moi. À défaut de croire en une vie stable, je m'étais toujours réfugiée dans cette alternative en pensant qu'il s'agissait de la seule, où au moins personne ne souffrirait de mon inconstance. Mais alors qu'il fallait le laisser partir, je me suis aussi rendue compte que cette solitude me ferait bien trop mal. Je n'étais pas faite non plus pour elle. Alors sans vraiment réfléchir je me suis avancée vers lui afin de poursuivre notre "au revoir" de manière bien plus proche. Bien plus intéressante. Nos lèvres se sont frôlées avec légèreté libératrice, et ce pendant de longues minutes. Avant que je ne souffle au bout d'un moment :

Café Noir et Sucrette [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant