Une boule me serre la gorge lorsque la voiture s'arrête devant la clôture de la maison de mes parents. Si la dernière fois je suis venue ici le cœur léger et reposée par une sieste sur le siège passager, aujourd'hui, je suis aux antipodes de ces sensations. Je baisse le pare-soleil pour observer mon visage quelques instants. Je suis effrayante par mon teint cireux et des poches sous les yeux aussi grosses que deux valises pleines à craquer. Je sais déjà que je vais me prendre des reproches dès que je passerais le portillon. La seule arme de défense que je peux utiliser étant le sarcasme, je suis sûre qu'avant le dessert, certains regards se feront en croix. Luke retire la clef de sa voiture puis balance sa tête contre l'appuie-tête, fermant les yeux. Je me détache et me tourne dans sa direction complètement, sérieuse:
" Bon, on y est, mais juste avant d'entrer dans l'enfer, on va devoir parler des vices et autres horreurs que tu pourras peut-être rencontrer ici...
- Eh bien, c'est rassurant mais tu es sûre que ce sont les portes de l'enfer ? Il regarde derrière moi en se penchant. Parce qu'honnêtement, je vois plutôt les réminiscences d'une enfance relativement heureuse et probablement l'odeur des gâteaux maison.
- Tu ne vois que ce que l'on veut bien te laisser voir. C'est tout. Je frotte mes cuisses. Bref, là-bas, c'est presque un champs de bataille. L'ennemi est ma mère, Andrea, qui ne va pas être conciliante sur le fait que je viens de quitter mon ex et que je me pointe tout de suite avec quelqu'un d'autre sous son toit. Le terme "ami" ne sera pas compris, c'est certain. Elle est la reine de la remarque et du bon mot qui fait toujours mal. Mon père est un papa poule, il est très drôle mais si tu la lui fais à l'envers, je ne suis pas sûre que tu ressortes vivant d'ici. Le pompon est que tu ne viens pas uniquement pour manger ce qui est l'affaire d'une demi-journée mais aussi pour dormir donc deux jours complets au minimum. C'est presque du suicide de s'infliger ça.
- Mais pourquoi tu m'as proposé ça si c'est si horrible ? Je viens de perdre mon travail essentiellement pour toi et la famille de fous furieux de l'autre bout du pays donc ce n'est vraiment pas très reconnaissant de ta part. Il croise les bras contre son torse, comme s'il voulait prouver un point. Je ris.
- Je suis certaine que personne ne viendra nous tirer les vers du nez à Astoria puisque personne n'est au courant que mes parents vivent ici au Weekly. On pourra bosser tranquillement malgré tout. Et puis j'avais accepté de venir dimanche pour le déjeuner familial mensuel de toute façon donc autant te faire souffrir avec moi."
Luke pose sa main sur la poignée de sa porte, demandant d'un mouvement s'il peut sortir:
" Ça va, t'as fini ton cirque ? J'aimerais bien me dégourdir les jambes avant de rencontrer tes parents."
Je grimace et lui attrape l'avant bras droit:
" Que l'on soit bien d'accord Luke Hoffman, nous ne sommes en aucun cas en couple donc ne va pas t'imaginer que tu dois être en mission séduction auprès de mes parents pour leur plaire ! Reste naturel et un poil sarcastique si tu le souhaites mais ne viens pas faire de la lèche sinon je te jure que je te ferais la misère.
- C'est entendu Cobb. De tout façon je n'y aurais même pas pensé. Il roule les yeux, impatient. C'est bon maintenant ?
- C'est bon. Allons-y."
Nous sortons ensemble et prenons nous affaire avant de passer le portillon. Sur le perron, mon père nous attend de pied ferme, avec ce même air qu'il arbore à chaque fois que je ramène un homme à la maison. Nous nous pointons face à lui et Stephen Cobb dévisage de haut en bas Luke qui se tient nonchalamment. Ce dernier ne semble pas le moins du monde impressionné par la carrure de mon père dans l'encadrement de la porte. Je déglutis en observant la confrontation non-verbale des deux hommes. On dirait un combat de coqs silencieux, les coups se faisant par des regards appuyés. Je me racle la gorge pour les ramener à l'ordre.
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Café Noir et Sucrette [Tome 2]
ChickLitQuelques mois après l'histoire racontée par Olivia Lawford, l'assistante d'un grand dirigeant d'une entreprise dans l'audiovisuel, Mediatics, à New York, voici celle d'une apprentie journaliste, Elie Cobb, de l'autre côté du pays, à Portland, Oregon...