Chapitre 46 : Alcool sans filtre

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La soirée vient à peine de commencer et je suis déjà à mon troisième verre, le rire au bord des lèvres. Nous sommes tous assis par terre autour de la table basse, des petits bols d'apéritif posés en pêle-mêle devant nous. C'est avec beaucoup de surprise que Caleb, celui qui a bénéficié des meilleurs cours de politesse parmi nous, a proposé ce pique-nique improvisé dans le salon. À mort l'étiquette, a-t-il fait. Il n'a pas eu tort, c'est plus amical et moins formel comme ça. Cependant, je suis à deux doigts de ne plus sentir mes jambes tant la circulation sanguine de celles-ci ont été coupées. Avec le temps, je me rends compte que le jeune Barnes qui me paraissait froid et distant aux premiers abords est en fait très sympathique et drôle. Je comprends mieux ce qui a pu faire tomber Olivia sous son charme.

Nous sommes quatre, deux femmes, deux hommes et de quoi manger pour un régiment. À l'origine, nous aurions dû être cinq, puisque Riley a été conviée, mais pendant le trajet de métro -c'était plus discret ainsi qu'une grosse berline dans les rues de New York-, elle a refusé la proposition. Besoin d'être seule pour se préparer à la journée de demain parce qu'elle redoute ce temps de parole en public. Pour elle, il ne s'agit pas que d'expliquer ce qui l'a amené à fuir aussi longtemps.  C'est aussi le moment où elle sera confrontée à ses cauchemars. Mais j'ai rétorqué qu'elle n'aura même plus le temps d'y penser, qu'on lui demandera où elle a pu disparaître entre juillet 2015 et décembre 2016, son lien intime avec Liam, les circonstances du meutre, si elle avait rencontré Andrew Barnes avant les faits, etc... Et qu'avec tout ça, elle sera protégée. Riley a fait une moue grave quand je lui ai dit ça avant de fixer les lacets de ses baskets. Tout le monde le sait, c'est autant le procès de Barnes que le sien. Elle sera jugée et mise à nue devant des dizaines d'inconnus. J'imagine sans difficulté la boule qui lui barre le ventre. Il y a de quoi lui empêcher de manger un morceau. Après l'avoir déposée et échangée quelques mots sur la marche à suivre pour demain, je l'ai enlacée tout contre moi, sentant son corps plus frêle que dans mes souvenirs entre mes bras. Son calvaire va prendre bientôt fin, et elle aussi regagnera sa liberté qu'elle a dû abandonner derrière elle, il y a déjà deux ans.

J'ai embarqué dans un taxi direction le New Jersey avec l'angoisse d'avoir fait une erreur. C'est moi qui ai mis Riley dans cette situation. Si je n'avais pas ouvert ma grande bouche à la première conférence de Mediatics, je ne serais même pas ici pour parler. Tout aurait été vide et toutes mes théories fumeuses seraient restées irréalistes. J'ai poussé un soupir en balançant ma tête contre l'appui-tête. J'ai eu l'impression soudaine d'être le catalyseur de toutes ces peurs, de cette boîte de Pandore sur le point d'être ouverte. Toutes ces pensées ininterrompues m'ont données la nausée et j'ai tourné la tête vers la fenêtre pour me fixer sur autre chose.

Sur le trajet du retour à la maison de famille Hoffman, j'ai donc pris le temps de contempler la vie new-yorkaise. Dans ce taxi, ça a été la meilleure chose à faire. Autour de moi, il y avait ce brouhaha terrible, cette décharge électrique qui s'étale comme une vague. Il m'est apparu comme une évidence que cette énergie inépuisable est exactement ce qu'il me faut. Ce serait le lieu parfait pour se défaire des ces inquiétudes sur l'avenir, sur l'amour, et j'en passe. Redémarrer ma vie d'adulte à 28 ans ? D'une facilité déconcertante à New York.

Ma main s'est posée sur le verre froid de la vitre. Elle était poisseuse, je l'ai retiré très vite en essayant de retenir une nausée. Depuis combien de temps ce taxi n'a pas été nettoyé ? Qu'importe, ce n'est pas mon problème je suppose ? Alors que je traversais la ville, j'ai observé les rues en quadrillage, les gens agités, les cols de chemise taches de sueur, les quelques camions à hot dog posés ça et là mais surtout ce dynamisme qu'il m'a toujours manqué à Portland, à Astoria ou dans le Kentucky. Ça s'est décidé pour de bon dans ce taxi miteux et collant, je vais poser mes valises ici dès que le temps et l'argent me le permettent. Ça aurait pu être plus romantique comme moment pour fixer une décision mais bon, vous me connaissez à force, la finesse n'est que factice chez Elie Cobb.

Café Noir et Sucrette [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant