Penser. Il me faut penser à la suite. Aux projets futurs. À l'avenir.
Il est difficile de songer à la suite, lorsque l'on dépasse un certain âge. Et pourtant, il le faut. Le temps passe, s'étire, s'étiole, au grès des vies naissantes et des morts imminentes. Toutes ces morts sont proches. Au travers de ce regard infini, il est facile de contempler la fin. Celle venant à sonner l'achèvement de cette ère. L'invisible voit, au-delà de tout. Le passé, et les épées s'entrechoquant. Le présent, et les murmures appelant à la rébellion. Et le futur, sombre. Il n'y a que l'obscurité qui réponde au loin. Rien que le chaos à venir, car celui-ci s'abattra inévitablement. Comme avant. Comme lorsque les grands héros se sont élevés face à cette voix puissante, qui rugissait la haine comme les illustres dragons crachait leur feu. Aujourd'hui, les dragons ne sont plus et la voix est éteinte. Mais elle n'a pas disparu. Pas complètement. Parce qu'un jour, un ancien a fait preuve de faiblesse, et laissé la graine de l'ennemi se propager. Je m'affaiblis, je le sens. Dans le sort que j'ai créé, au cœur de cette terre qui m'a vu m'enflammer, je me sens partir. Ce n'est pas l'heure. Ce n'est pas le bon moment. Les ténèbres sont à nos portes, le chaos se tient plus proche qu'avant. Ceci s'explique sans doute par l'émergence de certaines créatures, que l'on ne peut nommer. De parfaites chimères, de curieux mélanges entre plusieurs races ne pouvant se reproduire entre elles. Mais la voix est puissante, même éloignée. Et je me souviens, de ce dont elle était capable de faire. De ce dont sa magie lui a permis de créer, pour mieux tout détruire. Certaines chimères m'intriguent, d'autres sont révoltantes. C'est pourquoi les Apocrisiaires les chassent. Les Apocrisiaires sont ma propre voix, mon propre murmure. Ils agissent, dans l'ombre de mon ombre, fantôme derrière le spectre que j'incarne. L'on ne me craint plus, parce que l'on m'a oublié. Mais mes émissaires, eux, sont encore là, dans les esprits de chacun. Sauf des humains.
Souvent, ils me rapportent des mots d'un monde. De celui que j'ai quitté, sans jamais vraiment partir. Des mots trébuchants, car incertains. Mes émissaires sont perdus, déboussolés par trop de nouveautés. Les humains sont trop nombreux, et ont dévoré le monde. Ils l'ont modelé, transformé selon leurs volontés, ignorant parfaitement les conséquences de leur acte. Parce que le Clenche existe, et les rend aveugles, à la souffrance des autres. De tous ceux restant, après la Grande Traque. Ils ne sont plus assez nombreux pour résister, plus pour monter au front. Mais ils hurlent leur déchéance, leur colère et leur désespoir. Et, comme des milliers d'oiseaux, les Apocrisiaires viennent chanter leur appel, qui demeure pourtant sans réponse. Le monde évolue, par la faute des Hommes. Mais le monde a basculé, par la faute des créatures. Celles-ci payent les erreurs de leur père et de leur mère, tous deux fautifs. Ils n'ont pas réagi à temps. Ils ont été aveuglés par ses promesses, et ont plongé dans le combat. Le sang a remplacé l'eau des rivières. Les corps ont couvert les plaines, masquant l'herbe fraîche et la tuant, à petit feu. Les os ont pris la forme des arbres, assombrissant le paysage d'une touche morbide. Et il y a eu ce silence, après ces années de hurlements. Il a été pénible, effroyable. Il était lourd, aussi, par tout ce qu'il signifiait. Il n'y a eu aucun soulagement, aucun cri de victoire, à la fin. Il n'y a eu que des larmes, lorsque le bruit des fers s'est arrêté. Lorsque tous les survivants ont lâché leurs armes, pour laisser place au règne de la peine. Les échos des lamentations et des pleurs me sont parvenus, alors que je commettais ma dernière faute. Celle de le laisser vivre, lui. Le fils du chaos.
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Trois mois sous silence - La Traque (Tome 2)
ParanormalTOME 2 - SAGA TROIS MOIS SOUS SILENCE Penser. Il faut penser à la suite. Aux projets futurs. À l'avenir. Séléna Brand a passé le voile, pour entrer dans le vrai monde. Celui où vivent les monstres, et ses amis. L'assassinat de l'un d'entre eux la po...