Chapitre 1

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Je regardais le paysage défilant sous mes yeux, lasse... L'herbe des prairies à perte de vue était jaunie par le soleil, des arbres solitaires poussaient deci delà, tendant désespérément leurs branches vers le ciel. Mes cheveux, désormais noirs, flottaient autour de moi à cause du vent qui s'engouffrait par la fenêtre grande ouverte de la voiture-prison qui me transportait. On venait d'entrer dans le no-man's land. Mes menottes, qui étaient là juste pour la forme, étaient trop serrées et me faisaient mal aux poignets. J'aurais pu m'enfuir bien sûr, mais ... autant attendre. Je ne voulais qu'une chose, une seule, maintenant: me venger de ce pays qui m'avait abandonnée et fait tant souffrir. Œil pour œil, dent pour dent. Ma riposte allait leur en faire baver.

Chapitre 1Marlie Delkov

Je suis issue de la lignée des Delkov, une famille qui a toujours respecté et servit les Cavem, la famille impériale actuelle. C'est ainsi depuis qu'ils sont arrivés au pouvoir, quelques centaines d'années plus tôt. Quand je dis « servir » il faut comprendre « prêt à tout pour les satisfaire, peu importe la demande ».

Les Delkov sont puissants et craints des autres familles. Ils ont bataillé pour obtenir leur place et maintenant, elle est bien acquise. Chaque génération surpassant la précédente, nous avons de quoi être fier de nos ancêtres, mon frère et moi... La pression pour être aussi excellent est énorme. Mais comme le dit notre devise « Franchir et obtenir », nous devons faire nos preuves dans la société, surmonter les obstacles, pour mériter le respect des nôtres. Dès ma naissance, mes parents ont su que je n'allais pas être comme les autres. Je ne leur ressemblais pas du tout. Ils se sont même demandé si je venais bien d'eux ! Pas d'yeux marrons, pas de peau beige foncée et encore moins de cheveux blonds ! À la place un petit bébé avec des yeux bleu glace, une peau pâle et des cheveux blancs... On imagine bien leur surprise... Bien entendu les médecins leurs ont assurés que j'étais leur fille et leurs expliquèrent que j'étais très probablement une détentrice de capacité. Pour une raison encore inconnue, certains détenteurs naissent avec des particularités physique, notamment la couleur des yeux, des cheveux ou de la peau. Moi, j'ai eu droit à la totale ! Ils ont eu la confirmation environ un an plus tard que j'étais une détentrice, lorsque j'ai gelé le bras de mon frère lors d'un jeu. Ça n'a pas été très difficile de comprendre que ma capacité était la glace. Mes parents ont paniqué et on fait réchauffer le bras de mon frère par tous les moyens possibles et au bout d'un certain temps -heureusement! - la glace a fondu. 

Mon éducation fût parfaitement normale jusqu'au jour de la Première Sortie. C'était peu après la célébration de mes six ans que, comme le veut l'étiquette, j'ai été présentée pour la première fois à la cour. En effet, c'est à partir de cet âge que les enfants sont censés avoir appris toutes les règles de base et être capable de ne pas provoquer un scandale à cause d'une phrase à double sens... Bien que ma famille fasse partie de la noblesse depuis très longtemps, c'est toujours un honneur pour elle de pouvoir participer aux dîners et bals organisés par la couronne.

C'était donc lors d'une de ces réceptions que les grandes familles de l'Empire me virent officiellement pour la première fois. Mes couleurs détonnaient dans cette mer de robes, de pantalons et de jupes de grands créateurs. Les danses s'enchaînaient dans un tourbillon de froufrous, de talons tapant le sol et de visages avec des sourires ineffaçables. Je me faisais présenter par mes parents à toutes les personnalités. Ils étaient tous joyeux de me voir, comme si mon existence allait changer leur vie. Mon père m'expliqua plus tard que c'était seulement la bienséance qui voulait ça et qu'en réalité, ils s'intéressaient à moi juste pour ma lignée. Enfin, après au moins une trentaine de danses, le couple impérial est arrivé. La foule assemblée dans la salle de bal s'est soudainement abaissée, une mer de têtes bien coiffées inclinées devant les dirigeants. La première fois qu'on assiste à ça, c'est très impressionnant, je peux le dire ! Après un grand sourire de la part de l'impératrice, la musique a repris sur un claquement de doigts de l'empereur. Tous deux allèrent s'asseoir sur leur trônes, identiques en tout point, sauf la couleur des coussins. Les deux étaient en or massif, finement ciselé par les meilleurs orfèvres de l'Empire, il y a de ça mille ans. Le velours de celui de l'empereur était rouge et celui de l'impératrice bleu. Notre famille s'avança jusqu'aux trônes. Mon frère, qui avait déjà vécu cela quatre ans plus tôt, était assez détendu, tandis que pour moi, une boule se formait dans mon ventre. C'était la première fois que je les voyais d'aussi près et s'en était d'autant plus stressant ! L'impératrice portait une robe rose pâle, soulignant sa taille fine et son mari, lui, était habillé d'un tailleur bleu marine et d'une chemise blanche. Les couleurs se mariaient étonnamment bien. L'étiquette veut qu'en présence de personnages importants, donc de dirigeants, peu importe leur pays, les femmes posent leurs mains à plat dans celles des personnes à saluer, inclinent la tête et effectuent une révérence. Les hommes, eux, posent leur main droite sur leur cœur, la main gauche dans le dos et penchent le buste vers l'avant, jusqu'à être parallèle au sol, si c'est possible bien sûr. Les personnes qui sont transgenres, ou dont le genre change régulièrement ou encore qui en ont un neutre, choisissent la révérence qu'ils souhaitent. L'étiquette est ouverte à tous les cas de figures afin d'être respectée, qu'importe la situation. Après avoir fait notre révérence, l'impératrice m'a étudiée avec... intensité. Elle paraissait ravie de ce qu'elle voyait, un sourire s 'épanouissait sur son visage au fur et à mesure qu'elle étudiait mon apparence. Mes parents avaient sorti le grand jeu pour cette occasion: ils m'avaient acheté une robe bleu foncé dans un tissu magnifique, afin de faire ressortir mon teint pâle et mes yeux bleus. Dans l'aristocratie, la Première Sortie était très importante et les parents dépensaient beaucoup pour les vêtements de leurs enfants.

« - Céleste, votre fille est magnifique ! Vous avez un bijou dans votre famille, on dirait qu'elle est l'incarnation de la pureté, c'est tout bonnement incroyable !

-Vous m'en voyez ravie votre Majesté, c'est vrai qu'il n'est pas commun d'avoir une enfant comme elle.

- Elle est donc une détentrice, je suppose. Comment t'appelles-tu mon enfant ?

J'étais enfin invitée à parler !

- Marlie, votre Majesté.

- Vous allez donc être prise en charge par l'armée, Marlie, afin que vous puissiez garder le contrôle de votre pouvoir et que vous ne soyez pas un danger pour la population...

- En effet, votre Majesté, pour le bien de l'Empire je dois être surveillée. Il en est ainsi pour tous les détenteurs.

- Quelle enfant charmante! C'est tellement dommage que vous soyez ainsi obligée de vous éloigner de la cour...Vous n'assisterez jamais à de grands bals politiques... Quel gâchis !

Elle fit une mine boudeuse et réfléchit quelques secondes. Brusquement, elle se tourna vers son mari.

-Mais, très cher, nous pourrions la nommer pupille! Ainsi elle n'irait pas à l'armée et nous pourrions montrer au monde à quel point nos enfants sont beaux ! Surtout que sa beauté ne va pas manquer de se développer à l'avenir. Imaginez la dans dix ans: elle sera une magnifique jeune fille. Nous pourrons impressionner le monde entier !

L'empereur pris la parole pour la première fois. Il me contemplait, assez dubitatif au début, mais un sourire finit par éclairer son visage.

- Tout ce qui vous fera plaisir me rendra heureux, ma chère. Cette enfant n'a pas l'air bien dangereuse de toute façon. Vous avez raison, elle représentera bien notre belle patrie. Alors oui, pourquoi pas, elle mérite ce titre après tout, son apparence vaut le détour.

-Je suis bien aise que vous partagiez mon avis ! Céleste, Gérom, qu'en pensez-vous ? Ce serait un statut formidable pour votre fille. Ce serait, de plus, la première pupille de notre règne !

- Votre magnanimité est immense, votre Majesté, répondit mon père. C'est une offre d'une grande générosité que nous acceptons avec joie, si tel est votre désir.

-Parfait ! Voilà, c'est donc chose faite ! Marlie, vous serez nommée pupille dans une semaine et ainsi, vous viendrez vivre au grand palais avec nous !

-Merci infiniment vos Majestés, répondis-je la voie tremblante d'émotion. »

Et voilà l'entrevue s'est terminée ainsi, aussi brusquement. En moins de cinq minutes, j'étais passée du statut de simple enfant de six ayant la chance d'être née aristocrate, à future pupille de Nariel. Les premiers "dominos" de ma vie venaient d'être posés. Cela faisait au moins cinquante ans que personne n'avait reçu ce statut; il fallait être méritant pour le recevoir, et les seuls à pouvoir le décerner étaient nos dirigeants. Selon leurs bon vouloir, il pouvait y avoir dix pupilles nommées pendant un règne et zéro pendant un autre. Et j'étais la première du règne de d'Eliane et Gabello Cavem. Autant dire que j'étais sur un petit nuage tout le reste de la fête et mes parents aussi. Je venais de décrocher mon billet pour entrer dans le cercle de ceux qui avaient « réussi » ; j'allai acquérir le respect et les petits soins de ma famille.

Seul mon frère semblait... troublé, pas comme s'il était jaloux, non, mais comme s'il s'interrogeait. 

Effet dominoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant