Chapitre 17

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Chapitre 17: L'échange

Enfin, nous sommes arrivés au lieu de l'échange. En face de la voiture se trouvait une immense porte en bronze. Comme ça, plantée au milieu du décor, plantée au milieu de nul part. C'était symbolique, bien entendu. La porte de la Liberté, c'était son nom au-delà de ces deux battants géants, perpétuellement ouverts. Prêts à accueillir tous les désireux de partir pour un monde plus juste. Dans les faits, très peu de gens l'avait empreintée... Si une personne s'enfuyait de l'Empire, toute sa famille se retrouvait stigmatisée... Le meilleur moyen pour retenir les gens, c'est de les prendre en otage. Et des otages, dans ce pays, il y en avait autant que d'habitants.
De l'autre côté du géant de bronze m'attendait une voiture blindée avec quatre soldats armés autour. Notre véhicule s'est arrêté dans un long freinage strident, assez insupportable. Les deux hommes m'ont fait sortir, ce qui était assez difficile vu la largeur de mon jupon. C'était ridicule, la pire tenue imaginable pour voyager. J'étais serrée au niveau du ventre, mes pas étaient gênés par la robe et mes pieds.... Oulala mes pauvres pieds, ils étaient dans des escarpins plus qu'inconfortables (et noirs bien sûr). La vision d'une jeune fille au milieu de cette prairie, habillée en tenue de fête, les menottes aux poignets, avec une expression exaspérée, était assez surréaliste, je pense...
Mes "gardes" m'ont accompagné jusqu'au seuil, au plus près des battants. Puis, j'ai dû traverser seule la frontière. En un pas, je venais de sortir de l'Empire pour la première fois de ma vie. Tout ce que j'avais connu jusque-là s'arrêtait. En à peine quelques secondes, j'ai été saisie par le bras puis assise dans une autre voiture.
C'était une symétrie, même position qu'il y a une minute, et pourtant tout était différent. Pendant quelques instants, le silence fut total. Je regardais ces quatre personnes, deux à l'avant, deux à l'arrière, avec moi. Un homme et une femme m'encadraient, enfin, je crois... La partie inférieure de leurs visages était cachée par des masques noirs, donc je n'étais pas sûre. Les deux me lançaient des regards incertains, comme s'ils craignaient que je les morde, mais en même temps, que j'étais peut-être une "gentille". Je ne savais pas combien d'heures de route nous attendaient, et puisque j'étais d'office avec eux, autant essayer de parler.
Bien qu'étant dans une situation plus qu'étrange, à cet instant, je ne rêvais que d'une chose : un pantalon, des chaussures "normales" et un bon T-shirt. Bref, n'importe quel vêtement différent de cette robe affreuse.
"Hum, excusez-moi, est-ce que je pourrai changer de tenue en arrivant ?"
Ils se sont tous regarder avec surprise, ne sachant pas tellement quoi répondre. Je pouvais les comprendre, ça ne devait pas être commun comme requête. Les prisonniers étaient souvent silencieux ou clamaient qu'ils étaient innocents. Mais pas qu'ils aimeraient prendre leurs aises, c'est sûr...
Finalement, la voix grave du soldat sur ma droite m'a répondu avec un accent inconnu à mon oreille :
"- Je suppose que le général n'y verra pas d'inconvénient... Enfin, si vous demandez des vêtements de riche, ils vous seront refusés !
- Non, non, je voudrais juste quelque-chose d'autre que cette... Que ce... Que ce truc pas confortable du tout. Si possible, bien sûr. Mais surtout, pas de robe ! "
Ils se sont tous mis à rire dans la voiture. Enfin, j'appelle ça une voiture, mais c'était plutôt un mix entre un fourgon et une auto, en tout cas, assez spacieux à l'arrière. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils prennent ma phrase pour une blague, mais bon, mieux valait ça qu'un silence de mort. À ce moment-là, la voisine du conducteur a prit la parole :
"- Vous savez, on n'est pas censé parler avec les prisonniers. Notamment pour ne pas livrer d'information par inadvertance. J'espère que vous comprenez.
- Oui, oui, bien sûr... Je ne parlerai plus alors...
- Ce n'est pas contre vous, retenez-le, mais ce sont les règles. Et les soldats obéissent aux règles. "
Ce devait être elle la chef de cette unité. Après cet échange, plus aucun mot n'a été prononcé.
D'après mes quelques connaissances géographiques de la République, j'ai assez rapidement conclu que nous ne nous dirigions pas vers la capitale. Nous étions partis vers le Nord alors qu'elle se situait dans l'Est. On devait donc probablement me conduire vers une base militaire, mais je ne savais pas pourquoi.
Au début, j'ai décidé de compter les nuages, puis de deviner leurs formes, puis de déterminer les nuances de bleu du ciel, et enfin, je me suis ennuyée.
Profondément ennuyée.
Je n'avais rien à faire, mes "gardes du corps" ne pouvaient pas me parler et la route était longue, longue, longue...
Le paysage s'est lentement transformé : les étendues jaunies par le soleil se sont transformées en désert de caillou et de sable. Une terre aride, avec une absence quasi-totale d'eau. Dire que tout cela appartenait à l'empire autrefois... Des montagnes rocailleuses s'élevaient par endroit, des cachettes parfaites dans ces pleines désolées qui n'offraient pas beaucoup d'abris.
Plus le temps passait, plus nous empruntions des routes de campagne, peu entretenues. Les trous qui se multipliaient sur la voie mettaient un peu d'agitation dans l'habitacle, car la soldate à ma gauche formulaient des critiques très -très- imagées de la conduite ("lamentable") de Conan (le conducteur, donc). Je peux remercier tous les trous de ces routes de m'avoir amusé.
Car oui, le fameux Conan ne se laissait pas insulter si facilement et répliquait (avec un certain talent, il faut le dire) contre Célia.
Au fur et à mesure des attaques et contre-attaques, j'ai appris les quatre noms des soldats : Célia, Thaïs (celle que je pensais être la chef d'unité), Conan et Jack. J'avais de quoi me distraire un peu, au moins. Ils faisaient toutefois bien attention à ne rien dire de personnel ou concernant cette mission.
Au bout de six heures de route, nous sommes arrivés à destination.
Nous étions face à l'une de ces nombreuses montagnes. En apparence, elle n'avait rien de spécial, on pouvait même ce dire qu'elle était plus laide que les autres : son relief était abrupte et ne se prêtait pas particulièrement à la rêverie. J'en étais là de mes réflexions lorsque la fameuse Thaïs m'a sorti du fourgon.
"Allez, ma grande, va falloir que tu marches." Plus facile à dire qu'à faire... Si marcher dans l'herbe avec des talons aiguilles était difficile (pour moi) dans les cailloux, n'en parlons pas... Je me tordais les chevilles tous les deux pas. Alors, forcément, j'ai fait quelque chose de logique. J'ai enlevé ces instruments de torture de mes pieds. Je marchais dans les pierres et le sable, certes, mais au moins, mes chevilles étaient saines et sauves.
"-Miss, tu peux pas marcher comme ça ! s'exclama Conan
- Je n'ai pas d'autres chaussures sous la main, et je préfère ça à ces... Hum... souliers."
Il est allé fouiller dans le fourgon, a dégoté une paire de Rangers et me les a tendues. Elles étaient trois fois trop grandes, mais tellement plus confortables... Une fois mieux chaussée, notre mini cortège a pu reprendre sa route...vers la montagne. En se rapprochant, j'ai enfin distingué des lignes étranges dans la roche. Des trous trop réguliers pour être naturels. Ces derniers indices confirmaient mon pressentiment.

La base militaire était dans la montagne.

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