Chapitre 21: Le journal
Pour être sincère, je n'imaginais pas Madame comme ça. Rien qu'avec son appellation, je pensais qu'elle était une vieille dame stricte, aux lèvres pincées et au chignon serré.
J'étais si loin de la réalité.
Madame était un véritable électron libre et surtout, elle était énergique. Elle n'avait prévenu personne de son arrivée, pas même le général Valdh. C'était une femme petite et rondelette, si bien que je la dépassais déjà d'une tête alors que je n'avais que quatorze ans... Mais, dès que j'ai croisé son regard, j'ai compris. Elle était grande. Lorsqu'elle commençait à vous fixer, c'était comme si elle grandissait de quarante centimètres, elle dominait l'échange sans dire un seul mot.
Elle avait des yeux gris-orage, des yeux magnifiques, avec des reflets métalliques. Ses cheveux, totalement blancs, étaient coupés courts. Elle les laissait en bataille volontairement pour se donner un air sauvage (selon ses propres dires). En-dehors de ses yeux, ce qui m'avait le plus marquer, c'était son sourire. Il était tout simplement éclatant et transmettait toute sa joie de vivre.
En réalité, Madame avait parfaitement choisi son jour pour arriver. C'était le jour de ma mort "officielle", la nouvelle étant relatée dans tous les journaux. Elle est donc arrivée dans ma salle de classe brandissant un journal et s'exclamant : " Ça y est ! Marlie est morte !".
Bref, elle avait fait une entrée remarquée.
"- Bonjour, Kaylen, je suis Lena Stenova, mais appelle moi Madame. C'est moi qui t'apprendrai à contrôler ta capacité. Ah, au fait, je t'apporte des nouvelles du monde extérieur, c'est mon petit cadeau d'arrivée.
Elle me tendait un journal qui venait de paraître ce matin. J'étais un petit peu trop surprise pour répondre avec des mots, alors, j'ai pris le journal d'une main moite, parvenant tout de même à lâcher un petit "merci" tremblotant. Newton (mon "professeur" de langues ET d'Histoire) n'était pas mieux que moi. J'avais compris ces derniers jours que Madame était une sorte de légende vivante et insaisissable. Mais face à sa réaction, j'ai compris qu'elle était bien plus que ça : il avait dans son regard une admiration sans borne pour cette petite femme.
Lorsque je me suis enfin attelée à la lecture en diagonale du journal, ce n'est pas de la surprise qui m'envahit mais de l'ébahissement.
- C'est impossible, murmurais-je...
- Quoi donc, ma petite ?
- Mon "corps" a été rapatrié à Nariel pour que la Couronne puisse s'assurer de ma mort et m'incinérer... Mais à ma connaissance, je suis bien ici, donc il devait y avoir un faux corps dans le cercueil. Et ma famille aurait dû se rendre compte de la supercherie... Pourtant, dans l'article, il est dit que la Couronne a reconnu officiellement ma mort ce matin et que je serai incinérée demain. Ça n'a aucun sens.
- Oh ça... Disons que le général Valdh a ses propres moyens pour faire croire certaines choses. Il vous l'expliquera sûrement un jour. Ou pas. (Elle s'assit sur une chaise et ses pieds se décolèrent du sol). Mais parlons de ce que nous allons faire ensemble, ma petite ! Nous commencerons les séances dès demain. Au fait, j'ai déjà réaménagé votre emploi du temps. D'ailleurs, ne voudrais-tu pas qu'on se tutoie ? J'ai toujours préféré le tutoiement... Il y a tellement d'hypocrisie dans le vouvoiement... Enfin, ça, ce n'est que mon avis. Donc, es-tu d'accord ?
- Oui si vo- enfin, si tu veux.
- Parfait ! J'ai hâte de commencer. On se revoit demain alors."
Elle sauta sur ses pieds, épousseta son pull vert pomme et repartit aussi vite qu'elle avait déboulé dans la pièce. Après cinq bonnes minutes de silence, Newton prit enfin la parole :
"- Alors ça... Je pourrai dire à mes petits-enfants que j'ai rencontré Madame.
- Tu n'avais jamais eu l'occasion de lui parler avant ?
- Madame ne fait partie ni de l'armée, ni des services secrets, donc la probabilité que je la rencontre un jour était faible. Surtout qu'elle n'aime pas beaucoup ces deux organismes et a plus tendance à les fuir qu'à les inviter chez elle ! Tu sais, c'est une grande chance que tu puisses apprendre à ses côtés. C'est une des héroïnes de la guerre de Scission, bien qu'elle haïsse l'usage de la force. C'est pourtant pour sa force et sa malice qu'elle est reconnue dans ce pays.
- Attends, si elle a participé à la guerre, elle devait être dans sa trentaine, non ? Est-ce qu'elle appartiendrait à la Première Génération ? Elle a soixante-dix ans ?
- Presque ! Elle a soixante-treize ans, donc elle avait trente ans au début de la guerre.
- Waou... Elle ne les fait pas... De toute façon, je n'avais jamais attendu parler d'elle à Nariel...
- C'est tout simplement parce qu'on ne raconte pas tout à Nariel, juste ce qui embellit et glorifie l'Empire. Mais ne t'y trompes pas, Kaylen, même ici, l'Histoire est biaisée, tout simplement parce que, tant que des humains la raconteront, l'objectivité ne sera jamais totale. En plus, de nombreuses informations sont encore bloquées dans les archives. J'ai accès à certaines d'entre elles grâce à mon statut dans les services secrets, mais la majorité de la population ne saura toute la vérité sur la guerre de Scission -ou d'autres événements- que dans des dizaines d'années. Ou jamais... C'est ainsi.
- Je suppose que tu ne me raconteras pas ce que tu as lu dans les archives.
- Bien sûr que non. Même si tu appartiens à l'armée désormais, tu n'as pas les qualifications requises pour recevoir ces informations. (Il se mit à se balancer sur sa chaise.) Mais n'oublie jamais ça, Kaylen: rien n'est tout noir ou tout blanc. Même si Valgone te semble en ce moment être un bien meilleur pays que Nariel, la République aussi a ses secrets. Je suis bien placé pour le savoir puisque je suis l'un de ceux qui font le sale boulot.
- Ce n'est pas dangereux pour un agent des services secrets de me dire ça ? Je pourrais très bien le répéter...
Il éclata de rire. Je commençais sérieusement à douter de ma capacité à effrayer les gens... N'avais-je donc aucun charisme ?
- Déjà, je sais que tu ne le feras pas. Ensuite, ce n'est pas parce que je dis que la République a contourné la légalité plus d'une fois que je ne lui suis pas fidèle. J'ai un regard critique, mais je sais que, parfois, on doit s'écarter du droit chemin pour atteindre un objectif plus grand. Je donnerais ma vie pour mon pays, je peux te l'affirmer sans aucun doute."
Je regardais Newton avec étonnement, je ne le pensais pas si... loquace. Se rendant sûrement compte que l'ambiance de "classe" avait disparu, il me laissa quartier libre jusqu'au déjeuner et sortit de la salle. A cause de ses cheveux blonds cendrés, Newton me rappelait mon frère. Je savais grâce au général que Tobby allait bien et qu'il continuait son travail d'espion du mieux qu'il pouvait. C'était une des têtes pensantes de la Rébellion, si lui se faisait arrêter, le réseau se retrouverait mis à mal. D'après ce qu'on m'avait dit, la vie de mes parents jusqu'à aujourd'hui n'avait pas été bouleversée. Ils continuaient comme toujours leurs intrigues à la Cour et étaient plus que fiers du respect qu'ils inspiraient depuis mon départ.
Plus tard dans la journée, on m'apprit que, grâce à Tobbyan, on avait la confirmation que la Couronne et ma famille étaient persuadés de ma mort. Le faux cadavre devait être extrêmement réaliste...
Je me demandais quel genre de moyen de communication utilisait la Rébellion et l'armée. A Nariel, il fallait une semaine environ pour qu'une lettre arrive aux frontières de l'Empire alors qu'ici, une information circulait d'un pays à un autre en moins d'une journée... C'était un autre mystère à élucider.
J'attendais avec impatience le lendemain : j'allais enfin découvrir les méthodes d'enseignement de Madame !
Après une nuit de quasi-insomnie à cause de l'excitation, j'étais prête en avance pour la séance. A l'heure dite, j'entrais dans le gymnase où Madame m'avait donné rendez-vous.
Je poussais donc les deux battants de la porte avec impatience pour pénétrer l'immense salle.
Le gymnase était vide. Totalement vide.

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Effet domino
FantasyMarlie est née avec un pouvoir, celui de la glace. Elle fait partie des détenteurs, de rares personnes qui, comme elle, sont différents. Très jeune, elle obtient une position de rêve dans sa société aristocratique, grâce à l'impératrice qui la prend...