Chapitre 10

16 2 0
                                    

Chapitre 10: Face à face.

Après une nuit sans sommeil, je fis le trajet de retour. Pas d'adieux larmoyants, rien de tout ça. Juste une porte qui claque et des bagages avec moi.

Les rues étaient animées, pleines de vie. C'était jour de marché, les enfants jouaient au loup en criant. D'autres se faisaient des coiffures derrière les étals de leurs parents. Un blondinet essayait désespérément de faire de jolies tresses à son amie aux cheveux crépus. Devant le désastre qu'était le résultat, un petit aux yeux bridés le poussa et entreprit d'une main de maître la coiffure désirée.

La vie continuait. Personne n'avait idée de ce qui s'était produit au palais.

Enfin, après des minutes interminables de défilé de rues toutes plus joyeuses les unes que les autres, nous arrivâmes devant chez moi. La grande bâtisse était toujours aussi belle. Personne n'était là pour m'accueillir. Ce n'était pas une grande surprise après tout. Mes parents n'étaient pas très...communicatifs. J'eus la nette impression d'entrer dans un tombeau. Le mien probablement.

Tout était silencieux dans l'entrée. J'arrivai enfin dans ma chambre, mais je n'eus aucun soulagement à la retrouver. Des domestiques étaient en train de vider mes coffres d'affaires. J'avais besoin d'un endroit silencieux, alors, je m'éclipsai doucement. La bibliothèque me parût être un bon endroit ; des sofas dispersés entre des étagères de livres, et surtout, du calme.

Comme mes parents n'avaient pas l'air de se manifester, j'y allai sans informer personne.

L'atmosphère un peu poussiéreuse me plût et je m'enfonçai dans un fauteuil moelleux dans un coin tout au fond de la pièce. Mon sang battait contre mes tempes. Une migraine arrivait, je le sentais. À cause des récents événements ? Peut-être... Sur ma main subsistait une fine croûte, vestige de ma coupure. Je calai ma tête avec un soupir de satisfaction. Si seulement je pouvais rester là pour toujours... Ne pas affronter mes parents, ni le regard des autres. Ne pas avoir à subir le supplice qui m'attendait au bout de ces deux ans... Et ne pas penser à Tobbyan et ses idées. Somme toute, ne pas avoir à faire de choix serait parfait. Pas de situations compliquées ni de conséquences désastreuses auxquelles faire face. Il était tellement plus simple d'être passif et rangé dans une case que d'essayer de déplacer des montagnes pour un peu de liberté. J'eus un pincement dans le ventre... de nouveau. Toute la nuit, ça m'avait fait cela. J'avais tant essayé de ne pas penser à ça... Pourtant savoir que l'impératrice ne m'accordait aucune valeur, aucun sentiment ! Ça me brisait le cœur. Cette femme, je l'avais toujours admirée, respectée, je n'avais jamais, au grand jamais mis ses paroles en doute. Elle était mon guide, celle qui avait donné un sens à ma vie.

Je sentais que quelque chose en moi s'était cassé en même temps qu'elle assénait ses dures paroles. Ça faisait tellement mal... Tous les dominos que j'avais soigneusement alignés au cours de ma vie commençaient à vaciller...

Un sanglot montait dans ma gorge, déjà, je sentais mes yeux devenir humides. Même elle m'avait abandonnée, celle en qui je croyais le plus... Je ravalais tant bien que mal mes larmes, pleurer ne servait à rien... Mes jointures de doigts étaient jaunies tant je serrai les poings. Un kaléidoscope d'images me revenait en mémoire.

Huit années. Huit longues années passées à la servir, à être toujours présente lorsqu'elle en avait besoin. Balayées en une journée.

J'avais été utilisée.

Je leur avais juste servi de marionnette, de joli pantin qui était là pour se pavaner devant des invités, tous plus stupides les uns que les autres ! Ils ne voyaient que mon apparence et pourtant, ils complimentaient déjà l'impératrice à mon sujet, sans même me connaître.

Mais celle qui l'appréciait le plus c'était Elle bien sûr ! J'étais comme un joli vase à contempler, juste un objet de plus dans sa collection... Rien qu'un objet. Quelque chose qu'elle pouvait abandonner sans le moindre remord lorsqu'il ne serait plus assez bien pour elle. Lorsque le vase serait malade.

Je sentais la colère monter en moi.

Une fine pellicule de glace commençait à recouvrir le fauteuil mais ça ne me gênait pas.

Pourquoi, mais pourquoi !? J'aurais voulu que le monde s'arrête de tourner, que les aiguilles cessent leurs mouvements, que plus personne ne me fasse souffrir.

Mais quelqu'un ouvrit la porte de la bibliothèque. Argh, et puis zut !

« -Mademoiselle !?... Mademoiselle, je sais que vous êtes là... Vos parents vous demandent, dans le bureau de votre père... Bon, J'y vais, mademoiselle... »

Mes parents... Qu'allaient-ils me dire ? Encore des paroles blessantes ?

Je fis disparaître la couche de givre, autant de ne pas ruiner le tissu...

Je me levai lourdement et m'essuyai les yeux en vitesse. Autant essayer de faire bonne figure... Vu leur immenseeee précipitation pour venir me voir, ils allaient sûrement me tenir un discours froid, glacial même.

Je me dirigeai seule, en proie à mes tourments, vers la porte en bois du fond du premier étage, La porte importante de cette immense maison.

Toc, toc, toc.

J'aurais voulu m'enfuir loin, très loin, plutôt que de passer cet « entretien ».

« -Entrez.

Prenant mon courage à deux mains, je poussai dans un geste rapide le pan de bois sculpté, tournant sans un bruit sur ses gonds. Mes parents étaient là, tous les deux assis derrière le bureau, bien rangé. Pas de fauteuil ou même de tabouret en face d'eux pour moi.

- Père, mère, bonjour.

- Marlie, commença mon père d'une voix grave, une nouvelle pour le moins, ... irritante nous est parvenue du palais. Votre mère et moi réfléchissons encore à ce que nous allons faire au sujet de... de votre cas.

- Il n'y a pas grand-chose à savoir, père.

Je sentais une colère sourde monter en moi, ne s'inquiétaient-ils donc jamais d'autre chose que de leur image ? La santé de leur enfant ne les émouvait pas plus que ça ? Même si je m'y étais attendue, le voir et l'entendre, c'était me prendre un autre coup de poignard.

Je suis malade. J'ai Cissia. Et je vais mourir. Alors ne vous inquiétez pas trop, le problème ne sera bientôt plus là. Pour votre plus grand bonheur apparemment.

- Voyons Marlie, me répondit ma mère, vous savez bien que votre état nous attriste profondément ! Notre chère enfant, pupille, malade !? De la plus horrible des maladies qui plus est ? Bien sûr que notre cœur est brisé, n'est-ce pas chéri ?

Elle tourna le regard vers Père. Aucun signe de compassion ou de tristesse cependant dans le regard ou la voix de l'un ou de l'autre.

- Marlie, nous nous demandons ce que vous allez faire maintenant...

- Maintenant que je n'ai plus d'avenir ? C'est cela ? Merci, un grand merci à vous de vous souciez de comment je vis cette épreuve et de mon état psychologique ! Je vois que vous arrivez très bien à réfléchir sans moi ! Et comme mon avis n'a pas l'air de compter pour vous de toute façon, je vais prendre congé de cet entretien où vous n'avez même pas prévu de siège pour la malade ! »

Je hurlai dans le bureau. Toute ma haine, ma colère, à cause de leur indifférence, de l'indifférence de tout le monde, sortait à ce moment-là. Jamais je n'avais élevé la voix contre mes parents, jamais je ne leur avais manqué de respect auparavant. Mais depuis que je voyais vraiment les choses grâce à la lettre et aux différentes réactions due à Cissia, je sentais une force nouvelle monter en moi. Une force rebelle. Je ne voulais pas qu'on me traite comme un objet ou un déchet, plus jamais. Plus jamais je ne serai aveugle par choix. Pour le peu de temps qu'il me restait à vivre, je regarderai les choses en face, sans filtre.

Ma mère écarquillait des yeux ronds, comme des soucoupes tandis que la mâchoire de mon père s'était décrochée.

- Qu... , les deux ne savaient que dire.

Je les toisais pendant une bonne seconde puis fis volte-face et partie, les épaules droites, le menton levé.

Ils n'allaient pas m'enterrer tout de suite.

Effet dominoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant