Chapitre 16

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Chapitre 16: Le départ

Le grand jour était arrivé, désormais, plus rien ne serait pareil. Mon départ avait été organisé dans les moindres détails afin que chaque mouvement que j'allais faire, chaque parole que j'allais prononcer serve la "patrie". Bref, de la bonne grosse propagande à la gloire de nos souverains.

Les stylistes de la cour n'ont pas beaucoup réfléchis à mon apparence, j'étais censée être triste et me sacrifier pour le pays donc j'avais une robe noire, du maquillage sombre, une coiffure stricte : la moitié de mes cheveux en chignon serré -ceux de derrière étant trop courts pour être dans la coiffure-, et la cerise sur le gâteau : du vernis à ongle noir. J'avais l'impression d'aller à un enterrement... Et surtout, on aurait pu croire que j'étais un cadavre, je faisais peur à mourir. Comme ma peau était assez pale naturellement, le noir ne m'allait pas du tout, il faisait ressortir ma blancheur (mais pas dans le bon sens, malheureusement, c'était juste moche). Je voyais mon frère se retenir de rire malgré la gravité de l'événement mais je ne pouvais pas lui en vouloir... car j'étais bien d'accord. Pour l'occasion, les habilleurs du palais impérial étaient venus chez nous pour m'aider à m'habiller car attention ! La robe n'était pas une simple robe noire, non, ce serait bien trop facile ! Déjà, il y avait un jupon à mettre en-dessous (pour plus de volume), ensuite il fallait enfiler la robe (qui était un mélange de dentelle et de soie) et enfin, on devait lacer la robe dans le dos d'une manière particulière afin que les lacets fassent un dessin d'étoile. Finalement, l'habillage a pris une demi-heure, une demi-heure d'ennui et d'attente.

Mes parents me regardaient depuis un coin de ma chambre et semblaient perdu dans leurs pensées. De toute façon, peu importe ce qu'ils préparaient, cela ne me concernait plus. Bientôt, je serai loin de tout ça. Il allait bientôt être dix heures, il était donc temps pour ma famille et moi d'aller au palais. Étonnement, le fait de quitter cette immense maison ne me faisait rien. Je savais bien que c'était la dernière fois que je verrai ma chambre, le grand escalier principal, les innombrables portes en bois, nos adorables majordomes et nos caméristes. Mais non, rien, je ne ressentais rien. Mon cœur semblait sec, tout émotion envolée. Tout le monde dans mon entourage l'avait remarqué ces derniers jours, malgré quelques sursauts de joie de vivre, mon regard c'était terni, était devenu blasé. Plus grand chose m'importait car je n'attendais rien. Certes, j'espérais avoir une meilleure vie là-bas, dans la République, mais je pouvais tout aussi bien mourir. Alors, au fur et à mesure que je m'habituais à cette idée, je me suis forgé une carapace d'indifférence, pour moins réfléchir et moins souffrir. Je m'étais plongée à fond dans les entraînements avec Tobbyan, en espérant que le temps passe plus vite.

Et voilà, nous avions passé la porte principale, je quittais ma maison pour de bon. Dehors, la ville semblait morte, aucun bruit dans l'air comme si elle était... en sursis. Le temps semblait ne pas avoir de continuité, tout allait vite et lentement à la fois, j'étais dans une autre dimension.
Le trajet jusqu'au palais se fit en silence dans la berline noire impériale. Qu'avions-nous à nous dire, de toute manière ? Les adieux avaient déjà été faits. Mes parents semblaient vouloir éviter mon regard, ce qui est assez compréhensible. Mais cela montrait aussi des remords, et, venant de leur part, cela me touchait. Finalement, peut-être avaient-ils un cœur...
Quand les portes d'or majestueuses apparurent devant nos yeux, nous avons tous compris que le dernier acte de cette pièce allait se jouer.
Une foule immense s'était amassée devant les grilles massives. Elle attendait le discours. Le fameux discours.
Que JE devais prononcer.
C'était une énième exigence du couple impérial. Je devais partir en enfant dévouée à la patrie.
Je devais montrer ma résolution et le bonheur que c'était pour moi de me sacrifier pour préserver la paix- tant que le pays ne serait pas prêt à faire la guerre. Certes, j'étais contente mais pas de mon soi-disant sacrifice pour l'empire -non pas du tout- j'étais heureuse de partir. De ne plus avoir à regarder cette mascarade permanente. Cependant, j'aurais préféré que Tobbyan vienne avec moi... C'était son rêve à l'origine, de partir. Et contre toute attente, c'était moi qui allais le faire la première.
Quelle ironie...
Après que la voiture s'est garée, entourée de ma famille et de gardes du corps, j'ai du monter sur l'estrade installée devant les grilles. La foule s'est subitement tu, attendant le fin mot de l'histoire. Ils étaient si nombreux... C'était impressionnant. Le couple impérial enfin placé à côté de moi, j'ai pu commencer à parler. Ou plutôt, j'ai pu commencer à réciter un texte insipide.
"Comme vous le savez, je pars pour mieux préparer le pays. Pour que l'Empire ait le temps d'être parfaitement armé pour la vengeance. Ce voyage sans retour, je l'accepte de tout mon cœur car je suis entièrement dévouée à ma patrie. Là-bas, les insurgés, ces barbares vont sûrement me tuer mais qu'importe, je sais qu'un jour un brave Narielen ou une courageuse Narielenne me vengera. Je sais que mon sacrifice ne sera pas vain. Etc "
Après cinq bonnes minutes de discours, j'ai pu m'arrêter. Tout le monde s'est mis à applaudir et moi, j'ai pu me retirer. L'empereur a pris la parole, puis le ministre des affaires étrangères et enfin - enfin ! - nous sommes descendus de l'estrade. Dernière mise en scène : je devais faire un câlin à chaque membre de ma famille avant de monter dans la voiture-prison qui me transportera jusqu'à la frontière. Nous nous étions déjà dit adieu, donc ce fût assez facile, sauf avec Tobbyan forcément.
C'était ça, la peine. La vraie. Et ça faisait mal. Nous n'allions probablement jamais nous revoir s'il ne trouvait pas un moyen de s'enfuir...
Et, d'un seul coup, tout était terminé, j'étais dans la voiture. La foule m'acclamait dehors tandis que nous roulions. J'étais seule sur la banquette arrière, deux hommes étaient à l'avant.
Seule. C'était cela dont j'avais peur. Je ne connaîtrai plus personne dorénavant.
Je partais pour un long voyage... Au sens propre (plus de 10h de route !) comme au figuré.
Au fil des minutes puis des heures, les villages ont succédé aux grandes villes et les immeubles aux maisons.
Maintenant, il n'y avec que de vastes étendues à perte de vue. Et mon ressentiment toujours grandissant. Je me sentais trahie.
Je regardais le paysage défilant sous mes yeux, lasse... L'herbe des prairies à perte de vue était jaunie par le soleil, des arbres solitaires poussaient de-ci de-là, tendant désespérément leurs branches vers le ciel. Mes cheveux, désormais noirs, flottaient autour de moi à cause du vent qui s'engouffrait par la fenêtre, grande ouverte, de la voiture-prison qui me transportait. On venait d'entrer dans le no-man's land. Mes menottes, qui étaient là juste pour la forme, étaient trop serrées et me faisaient mal aux poignets. J'aurais pu m'enfuir bien sûr, mais ... autant attendre. Je ne voulais qu'une chose, une seule, maintenant, me venger de ce pays qui m'avait abandonné et fait tant souffrir.

Œil pour œil, dent pour dent. Ma riposte allait leur en faire baver.

Effet dominoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant