Chapitre 23

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Je suis dans ma chambre, assis sous ma fenêtre, les genoux repliés, et je ne pense à rien. Rien du tout. Vous savez, cet état où vous êtes juste incapable de ressentir quelque chose. Il est vingt-trois heures quinze, et elle n'est toujours pas rentrée. Ou alors, je n'entends plus rien non plus. Isaac a essayé de ramener un peu de vivacité dans mon âme perdue, mais rien à faire. Je ne sais même pas pourquoi ça m'atteint autant. Je me lève, lentement, aussi lentement qu'un esprit vide peut le faire, puis me dirige vers la salle de bain. J'ouvre mon application de musique, choisis ma playlist préférée, et lance la lecture automatique. Je rentre dans la douche, et fais couler l'eau. L'eau est chaude. Très chaude. Et le sentiment de brûlure sur ma peau semble dire qu'elle est trop chaude. Mais à défaut de posséder au sauna, cette douche fera le travail. Détendre. Relaxer. J'ai l'impression que mon corps est pourvu de noeuds, du haut du dos jusqu'à la pointe de mes orteils. Le puissant jet d'eau masse les endroits douloureux. La musique tourne, encore, et mon groupe préféré commence à chanter. The Chainsmokers. Ils ont l'art et la manière de te faire vivre leurs paroles. J'entends une porte s'ouvrir et se fermer. Sûrement papa dans sa chambre, elle se trouve juste à côté. Je passe la tête sous l'eau, mes cheveux s'aplatissent sur mon front et me retombent dans les yeux. L'eau dégouline le long de mon visage, et la liste de questions ne fait que s'allonger. Dois-je vraiment me prendre la tête avec elle quand elle franchira la porte d'entrée ? Et si je ne disais rien, qu'est-ce que ça changerait ? 

« - ISAAAAAAC ! je hurle, depuis le fond de ma douche. 

J'attends, encore, puis il finit par me répondre, en étant bien plus proche de la porte que je ne le croyais. 

- Qu'est-ce que tu as encore ? dit-il avec un petit rire que je le soupçonne d'essayer de retenir. 

- J'ai besoin d'un second avis pour quelque chose. 

- Un second ? 

- Autre que le mien, quoi. 

- Donc ? 

- Est-ce que je laisse couler, je veux dire, comme si ça ne me faisait rien ? 

- Développe, car je ne vois pas trop où tu veux en venir. 

- Si je reviens dessus, on va se prendre la tête pendant des heures. Si je ne reviens pas dessus, elle va se douter que j'évite le sujet, pour ne pas créer de tensions, mais en sachant que ça m'a touché quand même. Tu vois ? 

- T'es bizarre, No'. Mais ça vaut le coup d'essayer. En attendant, termine ta douche et n'utilise pas toute l'eau chaude du quartier, s'il te plait, et on en parlera après si tu veux approfondir le sujet.

- Ah ah ah, ce que tu es drôle, frangin. »

J'entends ses pas s'éloigner dans le couloir, puis je prends - enfin - le flacon de gel douche pour commencer à me savonner.  Je repense au court échange avec Isaac, et me surprends à sourire. Que ferait-on l'un sans l'autre, vraiment ? Les mains et les cheveux remplis de mousse, je me fais un tableau "pour ou contre" de ce que je compte faire avec Mila. 

- Pour :

      ¤ Cela nous évite un imbroglio infernal

      ¤ Je pense sincèrement que ça renforcera la confiance bien qu'elle soit sérieusement attaquée. 

- Contre : 

     ¤ Elle va croire que je m'en fous totalement et recommencera sans doute. 

Il doit y en avoir d'autres. Mais là, tout de suite, sous la douche, je ne les trouve pas. Lorsque ma playlist recommence, je sursaute. Elle est censée durer 2h17. Je prends ma serviette, l'enroule autour de ma taille, et regarde l'heure sur mon téléphone. Ah. Oui. Deux heures et quart étaient passées depuis que j'étais entré là-dessous, je comprends mieux pourquoi Is' m'a dit ça. Je m'aventure à l'étage, vers ma chambre, en laissant d'innombrables traces mouillées en quarante-trois sur le sol. Papa va encore m'enguirlander. Devant mon armoire, je choisis un t-shirt simple noir, et un jean on ne peut plus classique. Au moment où j'enfile ma première chaussette, quelqu'un sonne à l'entrée. Personne ne sonne jamais ici, à part le facteur, et le facteur est passé depuis bien longtemps déjà. J'entends mon frère dévaler les escaliers, manquant la dernière marche - je sais ça au boum qui a suivi, et il saute toujours la marche du bas. Curieux de ne plus rien entendre du tout, j'ouvre la porte et sors la tête de ma chambre. J'entends sa voix jusqu'ici. 

« - Is', tu sais si Nolhan est là ? 

- Ouais, Mila, mais là je sais pas si il est en tenue de réception. 

- Tu te fiches de moi j'espère ? 

- Non, et je crois même qu'il se repose en ce moment. 

- Tu mens très mal. 

- Et toi tu caches trop de choses. 

- Et c'est justement pour ça que je veux voir Nolhan. 

- Il dort. Va voir ton frère en attendant, il est en face. Chez toi. 

- Tu en deviendrais méchant, Isaac. Fais gaffe.» 

J'entends la porte se fermer, sans savoir si elle est à l'intérieur ou à l'extérieur de cette maison. Ce n'est que quand je vois mon double soupirer en remontant vers sa chambre que je comprends qu'il lui a fermé la porte au nez. Et on va le payer le cher. 

L'illusion de l'espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant