Sergio Ramos

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Je n'avais qu'une chose à faire : parler. C'était simple. Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas pu. Je pouvais avoir confiance en eux, mes deux piliers : Karim et Gareth. Ils ont toujours été là pour moi. Quand ça chauffait entre Gerard et moi, sur les terrains, ils étaient là. Quand Pepe, puis James, puis Cris sont partis, ils sont restés. Ils étaient mes piliers et il m'aurait suffit de leur parler, de leur faire confiance. C'était simple. Pourtant, je n'ai pas réussi. À la place, je me suis réfugié chez Toni. Lui aussi, c'est devenu un pilier. Plus discret et calme que les deux autres, c'est aussi celui qui pose le moins de question. Et je savais que, chez lui, j'aurais la paix que je recherchais. Sa femme m'a simplement sourit et m'a préparé une chambre. Y a rien à dire Madame Kroos est aussi parfaite que son mari et les enfants de celui-ci.

Parler. C'est la seule chose que j'ai été de faire toute ces années. Pourtant, il aurait fallu que je le fasse. Avant. Plus maintenant. Aujourd'hui, c'est trop tard. C'est il y a cinq ans que j'aurais dû parler. Quand j'avais encore vingt-huit ans. J'aurais dû parler à mes coéquipiers. À mes amis. À mes copains successifs. Mesut. Gerard. J'aurais dû leur dire quel genre de mec brisé j'étais réellement. Quel genre de con je suis. Mon père. J'aurais dû lui en parler aussi. Avant qu'il ne meurt, il y a six mois. Il aurait dû savoir ce qu'il s'est passé la nuit de 24 août 1994. Mais je n'ai jamais ouvert ma bouche. Je n'ai jamais rien dit. Et il est maintenant trop tard.

Je me renferme. Mes coéquipiers s'inquiètent. C'est pour ça que Karim et Gareth ont commencé à poser des questions. Je ne suis plus le même, à l'entraînement et en dehors. Ils ne me reconnaissent plus, disent-ils. Moi, ça fait 25 ans que je ne me reconnais plus. Ca fait 25 ans que je n'arrive plus à me retrouver. Je suis comme un aveugle. Je n'ai plus de lumière en moi, je suis incapable de retrouver mon chemin. Celui de la paix. Mes fans m'ont toujours connus comme ça. Mes amis ont vus des facettes différentes et ils savent que je change, petit à petit. Pourtant, Toni et Raphaël ne disent rien. Ils tentent de m'aider, sans m'oppresser, contrairement aux deux autres.

Persuadé que c'était ma rupture avec Gerard qui m'avait mis dans cette état, Karim a fait le voyage jusqu'à Barcelone. Là-bas, il s'est bien rendu compte qu'en fait, ce n'est pas Gerard qui a rompu, mais moi. Alors il est revenu, bredouille. Enfin, presque. Gerard lui a balancé tout de la fin de notre relation. Qui y a mit fin. Et pourquoi. Une stupide dispute. Parce que j'ai refusé que Gerard me touche. Il était bourré, il voulait être dominant et je l'ai repoussé. Le lendemain, alors qu'il ne m'avait pas touché de la nuit - à part au moment de sa lubie - j'ai rompu, lâchement, sans lui donner d'explications.

Le pire ? C'est que Gareth et Karim ont osés se pointer chez Toni. Celui-ci savait bien que je ne voulais pas les voir, alors il les a renvoyer chez eux. Avant d'appeler Raphaël. Les deux ligués ensemble, je savais que je n'aurais aucune chance de m'en sortir. C'était toujours l'un OU l'autre, mais jamais les deux en même temps. S'ils commençaient à vouloir me parler ensemble, c'était mauvais signe. Alors quand le français est arrivé, j'ai su que je devrais parler. Le silence m'avait déjà fait perdre trop de personnes. Je ne pouvais pas les perdre eux, en plus. Pas les deux seules personnes qui semblaient être les meilleurs amis que j'avais. Ils se sont installés face à moi et, avant même que Toni ne me demande de parler, je me suis lancé. Je leur ai tout raconté. Sans les détails, mais je leur ai dit.

Sergio : Si t'as fait v'nir Raph, c'était pour me faire parler. J'en ai conscience. J'aurais pu partir, fuir la situation avant qu'il n'arrive, comme je le fais si souvent, mais je n'en avais pas la force. Je sais que vous ne serez pas toujours derrière moi. Je vous fait peur, en ce moment. Je vous inquiète. Je ne suis plus le même. Pour moi... rien n'a vraiment changé, j'ai juste arrêté de me battre pour donner une impression parfaite, constamment. J'ai juste arrêté d'utiliser des façades tout le temps. Alors oui, vous m'avez toujours connu souriant ou énervé et jamais triste et maussade, mais c'est pourtant ce que je suis tous les jours. Absolument tous les jours. Depuis que j'ai huit ans. Personne n'a jamais rien vu parce que je cachais ça trop bien. Mes parents ont bien failli se douter de quelque chose quand je me suis mis à faire des cauchemars et à pisser au lit alors que j'avais huit ans et que j'étais propre depuis déjà un moment. Mais ils n'ont rien dit. Ils sont restés compréhensif, conscient que ça allait passer. Et ça a été le cas. Quand j'avais neuf ans et demi, il ne me restait que les cauchemars. Terrorisé la nuit, j'étais rayonnant le jour. Ils n'ont jamais rien su. Ils n'ont jamais appris que le meilleur ami de mon père m'a violé le 24 août 1994. je les vois déglutir Je dois avoir l'air d'être hyper détaché vu la facilité avec laquelle je viens de vous le dire, mais croyez-moi, intérieurement, j'en crève. Depuis 25 ans. J'ai arrêté de me battre, récemment. Quand j'ai vu que j'avais encore réussi à perdre quelqu'un. Gerard. Alors ouais, c'est moi qui ait rompu, mais... c'est ce foutu événement qui a encore gâché l'une de mes relations. L'une des plus importantes à mes yeux. Je n'ai pas envie de perdre vos amitiés et c'est pour ça que je vous en parle.

Raphaël : T'as pensé à ...

Sergio : J'avais jusqu'à mes 28 ans. J'en ai 32. Presque 33. C'est trop tard, Raph.


Et il sait que c'est le cas. Du moins, il sait qu'il est trop tard pour que je porte plainte. Il n'est pas trop tard pour qu'ils m'aident et que je remonte la pente. Et c'est ce qu'ils m'ont bien fait comprendre pendant deux longues heures alors que j'étais toujours à la même place, incapable de bouger. Raphaël a fini par rentrer chez lui. Et Toni m'a confisqué mes clés de voiture et de maison. Il m'a ordonné de rester chez lui. Quand j'ai essayé de dire que je ne voulais pas déranger, sa femme m'a rembarré, me disant que jamais je ne dérangerais, alors j'ai pas eu le choix d'accepter.

OS [Footballeurs] 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant