— Hey ! Garance ! chuchote Jane d'une voix forcée.
Comme nous sommes en cours, je relève la tête pour vérifier si la professeure n'observe pas nos trois tables alignées avant de répondre à Jane. Fanny se trouvant entre nous deux, Jane s'est étalée de tout son long sur sa table avec un bras vers moi pour attirer mon attention. Les deux filles ont été très gentilles avec moi, elles m'ont proposé de m'asseoir avec elles alors qu'elles n'y étaient pas obligées, et ce, depuis le début de la semaine. Je les considère maintenant comme de véritables amies.
— Qu'est-ce qu'il y a ? je demande de la même façon avec un air faussement enjoué et en me penchant pour mieux la voir.
— Tu vas à la soirée de fin d'année du lycée ?
Une soirée ? Un lycée qui organise une soirée ? Ce n'est pas qu'aux États-Unis ce genre de truc ?
— Quelle soirée ?
— Mais enfin ! LA soirée du lycée ! s'offusque-t-elle.
Je ris jaune.
— Excuse-moi de ne pas être au courant ! On est tout de même mercredi ! Ça fait trois jours que je suis là, je devrais pourtant être au courant !
— Et bien maintenant, tu sais ! réplique-t-elle avec un sourire insolent, mais avec gentillesse. C'est vraiment LE truc à ne pas rater dans ce lycée.
— Mais encore ?
— Tous les ans le lycée organise une soirée pour tous les terminales, une soirée de promo si tu préfères, m'indique plus doucement Fanny en s'incrustant dans la conversation.
— Un peu comme dans les films américains, mais en moins bien, complète l'autre.
— Il y a tout le monde.
— Et il faut un cavalier ?
J'espère que non. Sinon je suis bien partie pour ne pas y aller. Jane éclate de rire, ce qui lui vaut des représailles de la part de la prof. Elle grimace dans son dos et continue plus doucement.
— Bien sûr que non ! Et heureusement ! Sinon il n'y aurait pas la moitié du lycée.
Jusqu'à la fin de l'heure, elles me racontent la soirée de l'année dernière, celle où des terminales avaient réussi à faire entrer des poules au lycée, ou celle d'il y a deux ans, elles n'y étaient pas, bien sûr, mais il paraît que toutes les filles s'étaient donné le mot pour arriver en robe longue. Elles me parlent aussi de toutes les pizzas commandées et les boissons non alcoolisées achetées.
Mais comme la soirée finit tôt, certains élèves apportent leur propre boisson pour se "bourrer la gueule" après la soirée. Le lycée est évidemment au courant, mais comme les actes n'ont pas lieu au sein de l'établissement, tout ce qu'ils peuvent faire c'est coller une tonne d'affiches de prévention contre l'alcool un peu partout dans les couloirs.
— Et c'est quand exactement ? je demande à la fin du cours en rangeant mes affaires dans mon sac à dos.
— Le trente mai !
— Aussi tôt ? je m'étonne.
— Oui parce que début juin il y a le début des révisions du bac... J'ai trop hâte d'être à la soirée !
Les deux filles font une petite danse de la joie. Je souris en zippant la fermeture éclair de mon sac puis le balance sur mon épaule. Malheureusement, je le sens percuter la table de derrière et entend le bruit d'une trousse qui tombe et de son contenu qui se disperse. Je me fige. Merde. Je sais très bien qui était la personne derrière moi.
Je l'ai ignorée pendant cette heure, mais là, ça risque d'être compliqué. Je me retourne lentement. Par réflexe, mes pupilles se dirigent vers son visage. Stupide erreur, je croise ses yeux bleus. Bleus océan. Ils me fixent avec intensité. Je ne sais pas comment interpréter cette intensité. J'ai juste l'impression qu'ils détaillent mon âme en profondeur. Pendant ces deux jours, j'ai tout fait pour les éviter. Je viens de rompre mon effort.
— Alors comme ça, s'irrite Robin, on bouscule mes affaires ?
Je ne relève pas, mais sa voix laisse passer de la haine, contrairement à ses yeux qui expriment... Je ne sais pas ce qu'ils expriment, mais ce n'est certainement pas de la colère. Ne dit-on pas que les yeux sont les reflets de l'âme ?
— Je suis désolée.
Je vais les lui ramasser ses stylos. Je ne suis pas sa bonne, mais je n'ai pas envie de me le mettre sur le dos aujourd'hui. Il m'a accueilli par une insulte ce matin. Et hier il ne m'a pas adressé la parole si ce n'est pour m'insulter. Je l'ai un peu mal pris, mais Jane et Fanny m'ont dit de ne pas y faire attention.
De toute façon, me fiche pas mal de ce qu'il peut penser de moi ou des raisons qui le poussent à agir ainsi. Il est le seul de la classe à faire ça, et il le fait assez discrètement pour que moi seule puisse l'entendre. Bien sûr, je souhaiterais qu'il arrête de me parler ainsi, mais quitte à continuer, autant devenir imperméable à ses insultes.
Ce qui est le plus étrange, c'est que s'il ne m'insultait pas, j'aurais eu envie de lui parler. Il a l'air si mystérieux que cela m'intrigue. Jane et Fanny ont dû déteindre sur moi. Par exemple, j'ai pu remarquer qu'il n'a pas vraiment d'amis dans la classe. La plupart du temps il s'assoit seul, contre un mur et observe la classe. Entre hier et ce matin, nos regards se sont croisés plusieurs fois. Je baisse immédiatement la tête, mais à chaque fois je sens son regard sur moi encore longtemps après.
Soudain, je me rends compte que je le fixe encore dans les yeux, perdue dans mes réflexions, et qu'il n'a pas encore bronché. Je rougis et m'excuse, autant pour les stylos que je n'ai pas ramassés que pour l'avoir fixé ainsi. Je me baisse et ramasse ses stylos en quatre secondes et les repose sur sa table. La main encore dessus, je m'excuse encore une fois. Peut-être qu'avec toutes ces excuses à outrance, il verra que je ne suis pas aussi détestable que j'ai l'air d'en paraître et il me laissera tranquille.
Je retire la main de ses stylos et je commence à me retourner mais Robin attrape mon poignet. L'air se fige. Mes yeux se refixent dans les siens, comme s'ils étaient désormais habitués. Il ouvre la bouche pour parler mais semble hésiter. Moi je n'ose pas bouger.
De un, sa main est littéralement froide -glacée même- et paralyse mon membre; de deux, ses yeux me retiennent prisonnier; et de trois, il semble vouloir me dire quelque chose et j'ai envie de savoir quoi.
— S'il te plaît, murmure-t-il enfin, arrête de t'excuser, le chien...
Je me pétrifie davantage. Je rêve ? Ses yeux semblent me supplier. Enfin une émotion que je comprends chez lui. Ou plutôt, que j'arrive à lire, pas à expliquer. Si je fais abstraction du "chien", il paraîtrait presque gentil.
Soudain, il relève la tête, rompant l'infime lien qui semblaient s'être installé entre nous deux, et parcours la salle du regard. Ses yeux se stoppent subitement et, presque simultanément, il lâche mon poignet, se relève, balance son sac sur son dos et sort précipitamment de la salle.
C'est alors que je me rends compte qu'il a dû se passer au moins une bonne dizaine de secondes où il me tenait le poignet et où on se regardait dans les yeux. Sortit du contexte où ce gars m'insulte, j'aurais trouvé ça trop mignon. Mais là, c'est un gars que je n'apprécie pas particulièrement et c'est juste... étrange.
Quand je me rends compte que Robin n'a pas récupéré sa trousse, je soupire. Tous les mecs sont-ils aussi tête en l'air ou pas ? Je tourne la tête vers l'endroit où j'ai vu les pupilles de Robin se poser. Je croise un autre regard, en tout point différent. Alexia. Elle m'observe.
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DIVISÉS - Transformation [en pause]
Werewolf"J'ai toujours rêvé d'être un animal. N'importe lequel. Un petit chat se prélassant au soleil ou une girafe attrapant les feuilles au sommet des arbres, peut m'importe. Mais je ne me suis jamais imaginée Loup. Mais Mère nature ne réalise pas toujour...