Chapitre 13 - partie 1

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Le soir venu la douleur n'est toujours pas réapparue. Le médicament m'a fait le plus grand bien. J'ai l'impression qu'il a la capacité d'atténuer les douleurs tant physiques que psychologiques.

Je le sens car, étonnement, je ne suis pas en train de pleurer. Je rafraîchis encore une fois mes messages. Rien. On est jeudi, je n'ai toujours pas eu de nouvelles d'Anaïs. Et ça, depuis lundi.

Clara ne répond pas à mes messages. Et elle n'est pas la seule à m'avoir oubliée. Toute sa famille ne répond pas. Ni ma tante, ni mon oncle, ni Nathan, ni Clara, ni aucun de mes grands-parents. Aucun d'eux ne répond, ma famille et moi sommes tous sur les nerfs.

Comme si la disparition d'Anaïs n'était pas suffisante, nous avons peur qu'il leur soit aussi arrivé quelque chose. Et la police ne veut pas répondre à nos questions. Comment peut-on réagir dans ces cas-là ? Mon rêve serait de me rendre sur place. Mais mon père n'est pas de cet avis. Il me l'a formellement interdit.

Je relève la tête et la repose sur l'appui-tête du siège de métro, et j'essaye de penser à autre chose qu'à mon inutilité. Mon regard se pose sur Robin, assis quelques mètres devant moi, il regarde par la fenêtre.

Mardi, il m'a redemandé si je voulais qu'il me raccompagne et j'ai refusé. Après réflexion, j'aurai peut-être dû accepter car maintenant j'ai l'impression qu'il me suit comme mon ombre et c'est flippant. Même si je sais que c'est parce qu'on est presque voisins, à le voir toujours dans la même rue que la mienne, dans le même métro, souvent même dans le même wagon, je ne peux m'empêcher de frissonner à chaque fois.

Nouvel arrêt de métro, de nouvelles personnes entrent, emplissant encore plus le wagon. Il n'est que quatre heures trente de l'après-midi, le métro n'est pas encore plein des sorties de bureaux. Lorsque je sors des cours une heure plus tard, on se croirait en enfer. Il y a tellement de monde qu'on ne peut pas tenir debout sans être bousculé dans tous les sens, un coup à droite, un coup à gauche.

Et il paraît que c'est encore pire vers six-sept heure du soir. Je n'ose pas imaginer. Et je n'ai pas parlé des milliers de touristes lents à mourir lorsque tu es pressé, ni des pic-pokets qui t'obligent à garder constamment un œil prudent sur ton sac.

Encore une fois, je me dis que je me porterais mieux si j'étais restée dans ma campagne, où les bus étaient tellement vides que tu pouvais improviser une chorégraphie de danse dans l'allée centrale avec ta meilleure amie Natacha.

Mais aujourd'hui, j'ai trouvé une place assise dans le métro. Robin aussi. Normalement, il est tout naturel de regarder devant soi lorsqu'on est assis. Mais je ne veux pas avoir l'air de l'observer, alors que je sens déjà son regard perçant sur moi de temps à autre. Je me force à regarder ailleurs.

Je m'enfonce plus profondément dans mon siège, branche mes écouteurs sur mon téléphone et lance la musique. Une fois dans mon monde, je regarde le magnifique paysage par la fenêtre taguée et pleine de traces de doigts : à quelques dizaines de centimètres de moi se dresse la paroi sans fin du tunnel parisien, d'un gris-noir profond, qui me rappelle la délicate poussière présente sous mon armoire, parsemé de temps en temps d'un long néon couleur jaune périmé.

Lorsque que j'arrive à ma station, je descends sans regarder ce que fait Robin. Après tout, il fait ce qu'il veut, non ? Il est grand.

Je gravis les escaliers qui montent à la surface, n'ayant qu'une hâte : arriver chez moi.

— Garance...

Je sursaute. La voix de Robin vient de résonner à peine deux mètres de mon oreille. Je ne me retourne pas et poursuis mon chemin. Est-ce que j'ai envie de lui parler ? Réponse : non. Il a fait du mal à Alexia, ne s'est pas excusé et nous ne nous sommes pas parlés de l'après-midi. Alors je ne vois pas pourquoi est-ce que, là, ce serait le moment.

— Garance, s'il te plaît.

Mon cœur se pétrifie, mais mon apparence reste inchangée, j'avance toujours en regardant droit devant moi en essayant de garder un visage neutre. Robin vient de me supplier de l'écouter. Et moi je fais comme s'il n'existait pas.

J'essaye de me convaincre que ce que je fais est justifié. Ce mec est mauvais : il m'insulte, moi et mes amies, en public. Il ne mérite pas mon attention.

Vas-y, me souffle une petite voix dans ma tête, tu meurs d'envie de savoir de quoi il veut te parler. J'essaye de l'ignorer et pour m'occuper, je fixe mes pieds. Ma marche est mécanique. Le pied droit. Le pied gauche. Le pied droit. Le pied gau...

Je rentre dans un corps. Enfin, ma tête heurte un torse. Je recule d'un pas et m'apprête à m'excuser vis-à-vis de la personne que j'ai bousculée, mais je m'arrête net. Je reconnais ce pull... Je l'ai vu porté par une certaine personne à midi... C'est pas vrai, je rouspète intérieurement, il s'agit du torse de Robin.

Je lève les yeux vers lui. Je suis sur le point de lui demander comment il a fait pour venir se poster ainsi devant moi aussi rapidement, mais je m'arrête lorsque je remarque que sa figure pâle est renfermée et ses sourcils levés comme s'il était désolé. Désolé ? Robin ? Vraiment ?

— J'ai besoin que tu m'écoutes, implore-t-il.

Je lève un sourcil.

— Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment utile.

Je contourne Robin et reprends ma marche.

— Je voudrait m'excuser pour tout à l'heure...

Je m'arrête, choquée mais ne me retourne pas. Je continuerai bien ma marche, mais que faire lorsqu'une partie de notre corps (en l'occurrence ici, mes pieds) refusent d'obtempérer ? Je sens la colère m'envahir, plus vers mon interlocuteur que vers la rébellion de mes membres.

— Ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça, je rétorque en serrant les poings.

— Je ne suis pas désolé pour ce que j'ai fait à Alexia...

Mon cœur fait un bon dans ma poitrine, puis commence à se serrer. Tu t'attendais à quoi ? Ce mec ne sait pas s'excuser.

— Pourquoi tu t'excuses si tu n'es pas désolé ? je demande.

Se passe un blanc. Aucun de nous deux ne parle, moi lui tournant le dos. Je n'ose pas faire un pas. Ou plutôt, mes pieds ont réussi à enrôler le reste de mon corps dans leur révolution contre le cerveau.

Au moins, je sens mon cœur battre fort contre ma poitrine. Si lui aussi décide de se rallier à la rébellion, je vais littéralement tomber raide morte.

— Je vais reformuler alors, dit-il d'une voix grave. Je suis désolé que ça t'ait blessé toi.

DIVISÉS - Transformation [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant