Chapitre 3 - partie 1

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Nous nous séparons, et je me dirige vers les écuries. Tourne-Vent est mon cheval. Enfin, c'est tout comme. Mes grands-parents qui détiennent un immense domaine, possèdent un grand enclos avec un âne et deux chevaux. Le premier cheval est la vieille bête adorable sur laquelle j'ai appris à monter, et le second n'est arrivé qu'il y a trois-quatre ans. Mes grands-parents l'ont récupéré de chez un vieil homme qui ne pouvait plus s'en occuper.

Comme j'ai toujours fait de l'équitation et que mon rêve était de posséder mon propre cheval, ils m'ont laissé m'en occuper comme si c'était le mien. Il y a deux semaines encore, je n'avais toujours pas emménagé à Paris et j'habitais à dix minutes à pieds de chez eux, et je pouvais venir m'occuper de Tourne-Vent aussi souvent que je le voulais.

J'emprunte le chemin de terre bordant la forêt qui mène aux écuries. Très vite, le sommet du vieux pigeonnier rond ressort au-dessus de la végétation, puis le reste du bâtiment qui abrite les écuries. J'ai toujours aimé ces deux bâtiments, respirant l'ancienneté. Leurs toits faits de tuiles rouges sont aujourd'hui recouverts de mousses et de lierres, plantes envahissantes qui grimpent du sol en s'accrochant aux vieilles pierres qui parviennent tant bien que mal à faire encore tenir les édifices debout.

Si la maison principale est relativement récente, ces deux bâtiments ont cent ans de plus. Mes grands-parents pensent qu'ils ont été construits plus ou moins en même temps, et qu'ils étaient reliés à une bâtisse aujourd'hui disparue. Quand ils ont acheté leur propriété et qu'ils ont rénové cette ancienne grange pour la transformer en écurie, ils ont dû refaire la charpente du pigeonnier pour éviter qu'il ne s'écroule. Aujourd'hui, on y trouve de l'électricité et de l'eau courante, ainsi même que d'un système de chauffage pour éviter que les chevaux ne meurent de froid.

Tout de même, lorsque je pénètre à l'intérieur, je garde mon manteau sur moi, les vielles pierres n'étant pas les meilleures isolations. A peine arrivée, l'odeur forte des équidés et de la paille fraîche m'envahit les narines. Pour la majorité des personnes, cette odeur est insupportable. Mais pour moi, elle représente beaucoup plus qu'une simple odeur de crottin de cheval. Elle me rappelle les nombreuses heures passées dans ce bâtiment en compagnie de ma grand-mère à m'occuper des bêtes, ainsi que celles passées à tisser des liens avec elles.

J'appelle doucement mon cheval avec des cliquetis que je fais avec ma bouche et je l'entends s'agiter dans son box. Nous avons créé une relation très forte tous les deux. J'ai appris à le connaître et à communiquer avec lui pendant toutes ces années de sorties ensemble.

— Anaïs ? j'appelle en premier.

Pas de réponse. Après un petit tour de vérification, j'en conclu que la petite n'est pas dans l'écurie. Cet édifice en pierre n'est pas bien grand. Il ne contient que quatre boxs et un placard pour ranger les quelques accessoires. Je passe dire bonjour au vieux cheval de mes grands-parents prénommé Rock-n-Roll, un cheval de trait n'ayant plus de force pour tirer une machine mais ayant un cœur en or, et à l'âne Platon, puis m'approche de Tourne-Vent.

— Coucou mon beau, je gazouille avec un sourire.

J'entre dans l'enclos et m'approche de la bête. Je le laisse me renifler puis je me mets à le caresser.

Si je n'ai jamais su la race de mon cheval, c'est tout simplement car il est un croisé depuis des générations. Mais ça ne l'empêche pas d'être magnifique avec sa robe grise parsemée de taches blanches, aux jambes devenant de plus en plus noires avec la longueur et à la crinière et la queue noires. Ses membres sont fins, mais puissants, signe des nombreuses heures passées à courir à l'extérieur. Je commence distraitement à démêler la crinière du cheval avec mes doigts, les yeux dans le vide. Je sens son souffle chaud dans ma nuque tandis que la mélancolie s'empare peu à peu de moi.

Bientôt, je vais devoir le quitter. Tout à l'heure pour être précise. Quand je vais devoir regagner mon nouvel appartement. Car demain, c'est lundi. Demain, j'entre dans mon nouveau lycée. Au beau milieu de l'année. En classe de terminale. Avec de nouveaux élèves. De nouveaux profs. De nouveaux bâtiments. Et moi qui déteste le changement... Ce ne sera pas facile.

Tourne-Vent me donne soudainement un coup de tête dans l'épaule et me sort de ma rêverie. Je sèche la larme qui perlait au coin de mon œil droit, puis me tourne vers lui et capte son regard inquisiteur. Le connaissant par cœur, j'en déduis très rapidement sa signification. Je souris tristement et lui grattouille le haut du crâne en répondant à sa question muette.

— Non, je n'ai pas de friandise aujourd'hui, gros gourmand.

Mon propre ventre gargouille à son tour et je me rends compte que je n'ai toujours rien avalé ce matin. Tant pis. Retrouver Anaïs est le plus important. Je mangerais après. A peine cinq minutes plus tard, Tourne-Vent est sellé à la va-vite et est prêt à être monté. Je ne dois pas perdre de temps. Finalement, je commence à comprendre le stress de mon cousin. Une petite fille ne peut pas disparaître comme ça sans explications. Si elle n'est ni dans la maison, ni dans les écuries, elle est forcément quelque part dehors, dans ce froid. Et elle n'est pas encore assez mature pour sortir faire une petit ballade avec un gros manteau et tout ce qu'il faut pour se protéger de ces températures hivernales.

J'ordonne à Tourne-Vent de démarrer et il part au galop. Notre secteur de recherche se situe dans la forêt, laissant le jardin est les alentours de la propriété à ceux qui restent à pieds. L'air froid me fouette immédiatement le visage et, pendant un instant, j'oublie mon objectif pour profiter de l'ivresse de la liberté. Le vent fait voleter derrière moi mes cheveux pourtant attachés en queue-de-cheval. Il est fort et froid, mais je me force à laisser mes yeux ouverts. Je veux pouvoir contempler le paysage qui défile devant moi, je ne me concentre que sur l'avant. Les sabots de mon cheval au galop frappent régulièrement le sol et produisent un son qui m'apaise rapidement. Mon cœur se synchronise à celui de Tourne-Vent, nous ne formons désormais plus qu'un seul être filant vers la forêt.

Une fois les premiers arbres atteints, nous ralentissons. Je ne voudrais surtout pas manquer Anaïs qui pourrait être n'importe où. Je fais un grand tour, les oreilles attentives, guettant le moindre son. La propriété est si grande qu'en faire le tour complet à grande vitesse serait une perte de temps, et surtout bien inutile. De toute façon, Anaïs n'aurait pas pu en atteindre le bout à pied du haut de ses quatre ans.

Pendant ce qui me semble une éternité, je fais marcher mon cheval, appelant la fillette. Mais aucune réponse humaine ne me parvient. Seulement celle des rares oiseaux passant l'hiver dans notre région normande. Je ne reçois aussi aucun appel de la part de mes cousins. Le stress commence à envahir mon ventre et celui-ci répond en formant une grosse boule qui me coince progressivement la respiration. Je déteste abandonner, je ne m'arrête pas. Ce qui me faisait rire au début ne m'enchante maintenant plus. Il faut absolument que je retrouve ma cousine.

Lorsque mon téléphone sonne enfin, mon cœur se crispe. La voix grave de Nathan résonne au bout du fil.

— Reviens, on ne peut pas chercher plus. Ce serait une perte de temps. On va appeler la police.

Je ne peux plus respirer.

DIVISÉS - Transformation [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant