Chapitre 15

88 16 14
                                    

— Comment-a-il survécu à ton avis ? je lui demande.

La question sort sans hésitation de ma bouche. Je suis en train de lui parler comme à une amie. Je sais que je ne devrais pas. Je ne devrais pas être là. Pas en train de discuter. Pas avec elle. Je suis à deux doigts de faire demi-tour. Mais il y a un quelque chose qui me retient.

— Ils ne devaient pas être là depuis trop longtemps, répond la jeune fille, sinon celui-là serait morts de faim. Les autres chatons...

— Paix à leur âme, je la coupe.

Ces paroles m'échappent tout naturellement, mais si j'avais pu je les aurais rattrapées en vol car elle me foudroie du regard. Je n'aime pas qu'on me foudroie du regard. Je devrais pourtant en avoir l'habitude. Mais sa colère à elle me paraît plus terrible que toutes celles que j'ai pu endurer au quotidien.

Alors qu'elle continue à parler, un bruit attire mon attention. Mon odorat et mon ouïe se focalisent immédiatement sur son origine. Deux individus courent dans notre direction. Depuis les hauteurs de la ville.

Oh Merde.

Leurs pieds foulent le sol à une vitesse trop rapide pour n'être qu'humaine. La panique m'envahit. Qu'est-ce que j'ai fait ? Les bruits se font soudainement plus fort. Un instant silencieux. Un choc lourd. Des rires. Ils viennent de sauter sur l'immeuble à ma droite. Je reconnais immédiatement leurs voix : Adalrik et Halvor.

— Alors le traqueur, on poursuit sa proie ? siffle l'un.

— Quel flair, rit l'autre, en voici une proie bien bonne !

Il ont beau se trouver à plus de dix mètres au-dessus de moi, je les entends se moquer comme s'ils se trouvaient à quelques centimètres. Leurs moqueries résonnent fort dans ma tête. Trop fort pour que je ne puisse les ignorer. Je lève la tête d'un coup. Les deux jumeaux entrent immédiatement dans mon champ de vision. Penchés au-dessus du vide, ils me regardent avec une malveillance sans limite.

Je ne peux pas rester ici. Je dois les rejoindre ou bien ils vont nous sauter dessus. Garance ne doit pas les voir. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est un ordre de mon père. Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas. Mais, comme d'habitude, je fais profil bas et je ne pipe pas un mot. Je garde mes pensées secrètes.

Je retourne les yeux sur la jeune fille. Elle me semble inquiète. Un vif sentiment d'appréhension m'envahit soudainement. Par ma faute, elle va finir par savoir. Mon père avait raison. J'ai échoué.

Je vois dans ses yeux qu'elle me demande ce qu'il se passe.

— Je... je dois y aller...

Je sais que je ne me justifie pas. Mais ce que je suis sur le point de faire n'est pas justifiable.

— Pourquoi ? insiste-elle

Je ne peux pas lui répondre. Je ne dois pas lui répondre. Elle semble comprendre que je n'ouvrirai pas la bouche car elle lève les yeux au ciel.

Me maudissant intérieurement, je profite de cet instant d'inattention pour m'éclipser. En à peine une demie seconde, je me glisse dans la ruelle derrière elle, puis prends mon élan. Je fais un bond de deux mètres pour atteindre un pan du mur de béton d'un immeuble. La force me parcourt les jambes et je me sers du mur pour me propulser deux mètres plus haut sur la façade d'en face. Trois sauts identiques plus tard, je me retrouve sur le toit de l'immeuble.

Juste avant de rejoindre les deux ramollis du cerveau, j'aperçois Garance, perdue, qui semble avoir remarqué ma disparition. J'aurais aimé lui dire que je suis désolé.

DIVISÉS - Transformation [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant