Chapitre 11 - partie 1

90 19 59
                                    

— Bon allez ! Raconte-nous !

Je suis dans le self avec Jane et Fanny, un plateau dans les mains.

— Une minute ! On s'assoie d'abord !

Après avoir raconté le plus bizarre entretien de ma vie à Alexia et à Stephan, nous avons rejoint les cours. Les deux jeunes gens ont drôlement réagit lorsque je le leur ai raconté, mais lorsque j'ai voulu leur poser des questions, la cloche a sonné.

Alexia a dû garder sa tête choquée en entrant dans la classe en ma compagnie car Fanny et Jane ont tout de suite vu que quelque chose n'allait pas. Elles ont voulu me questionner, mais le professeur est arrivée à ce moment là et Jane a dû partir car elle n'avait pas cours avec nous.

Je leur ai promis de tout leur dire ensemble au moment du déjeuner. Nous y voici donc et je vais devoir raconter pour la seconde fois cet entretien. Une fois installées, Jane d'un côté de la table et Fanny et moi de l'autre, je commence mon récit en remuant du bout de ma fourchette la purée peu ragoûtante de mon assiette.

Lorsque j'arrête enfin de parler, les deux filles ont les yeux ronds comme ceux des poissons.

— Il a fait ça ? n'en revient pas Fanny.

— Il a fait ça, je confirme.

— Normalement, on n'amène pas les élèves dans son bureau pour un motif de ce genre, remarque Jane.

— Il voulait peut-être juste me présenter notre professeur de maths...je suppose en haussant les épaules même si j'ai du mal à le croire moi-même et en me rendant compte que j'ai oublié de le mentionner dans mon récit.

— Tu as vu notre professeur de maths ?

— Merde il est revenu ?

Les deux filles ont parlé en même temps, si bien qu'il m'est impossible de savoir qui a dit quoi. Je hoche la tête pour répondre à l'affirmative aux deux questions en même temps.

— Il est flippant n'est-ce pas ? me demande tout bas Jane.

J'acquiesce.

— Il a une tête de pédophile.

— Ah ! fait Fanny en direction de Jane. Tu vois ? (Puis elle se tourne vers moi pour m'expliquer tout bas) Je suis contente que tu penses comme moi. Tu as vu son sourire ? Terrifiant, non ?

— C'est exactement ça ! je confirme en riant. On dirait qu'il veut nous manger tout cru !

— Et c'est là que tu rejoins mon hypothèse ! s'exclame Jane avec un sourire de victoire. Pour moi, il n'est pas qu'un simple violeur, il veut aussi prendre le pouvoir sur toutes les personnes de l'école, puis de Paris, puis de la France et enfin du monde entier !

Fanny lève les yeux au ciel et me jette un regard exaspéré. J'éclate de rire.

— Je préfère largement ton hypothèse, mais je pencherais plus pour la pédophilie !

Jane fait mine de bouder et Fanny me félicite. Je me décide enfin à commencer ma purée déjà froide, quand une voix résonne soudain au-dessus de la tête de Jane, assise en face de Fanny et moi.

— Hé le chien !

Nous nous tournons toutes les trois vers Robin. Il est debout et nous toise de toute sa hauteur. Il me fixe avec arrogance.

— J'espère que ton entretien avec mon père s'est bien passé. Tellement bien, ajoute-t-il avec un clin d'œil forcé, au point de lui laisser bientôt un mot doux sur son bureau, comme ton amie l'a fait au début de l'année.

Je n'ai même pas le temps de réagir qu'un grand fracas retentis derrière moi. Je fais volte-face sur ma chaise et aperçois une Alexia sous le choc, les yeux rivés sur le sol et tendant les mains en avant comme si elle tenait un plateau invisible.

Je dirige mes yeux vers ses pieds et y découvre l'origine du bruit : le plateau bien matériel que devait porter la jeune fille à la mèche rose est désormais renversé sur le sol, étalant de la purée et des bouts de verre tut autour. Un instant, les élèves autour de nous se taisent le temps de réaliser ce qui vient de se passer, puis commencent à applaudir et à siffler comme pour féliciter la jeune fille que j'avais invitée à venir déjeuner avec nous.

— Alexia ? Tu vas bien ? je lui demande.

Enfin, elle relève la tête et je peux lire de l'affolement dans ses yeux. Elle semble reprendre ses esprits et tourne la tête avec un air catastrophé pour observer les gens qui applaudissent autour d'elle.

Je remarque qu'arrivés au niveau de Robin, toujours debout devant nous et la fixant maintenant elle avec un sourire satisfait, les yeux d'Alexia se mettent à lui lancer des éclairs. Ensuite ils regagnent les miens et semblent s'excuser.

Encore sous le choc, je la regarde partir en courant. Puis je dirige mon regard vers Robin, toujours immobile. Il a revêtu un sourire narquois. Il semble amusé de la situation. De tous les bouts de verres au sol. Des gens qui applaudissent. Du mal fait à cette jeune fille.

Je sens que je vais le frapper. Je l'observe un instant tout en essayant de refouler la rage qui monte petit à petit en moi. Comment a-t-il osé ? Déjà comment est-il au courant que j'ai eu un entretien  avec son père ?

C'est à ce moment que je me souviens l'avoir vu entrer dans son bureau peu après que j'en sois sortie. Il est allé repêcher des informations chez son père ! Et il s'en est servi contre moi et Alexia ! Pourquoi moi ? Pourquoi Alexia ? Que lui a-t-on fait ? Et même ! Pour ma part je m'en fiche, mais Alexia est une jeune fille si timide et si discrète !!! DE QUEL DROIT NOUS A-T-IL INSULTÉES PUBLIQUEMENT ?

Je me lève d'un coup. Je ne peux pas rester assise ou ma colère risque de déborder par mes oreilles. J'aimerais me défouler. J'aimerais aller le frapper, comme toutes ces héroïnes timides de film ou de livre qui deviennent tout d'un coup courageuses, et qui assènent la claque de leur vie à ces petits gars prétentieux.

Mais je ne suis pas ces héroïnes. Je ne suis pas dans une fiction. Je suis plutôt discrète et ai du mal à affirmer mes convictions. Je serre les poings pour contenir la colère qui m'a envahie.

— Pourquoi tu as fais ça ? je lui demande.

Ma voix ne sonne pas aussi sûre que je l'aurais voulu, et surtout, je n'ose pas le regarder dans les yeux. Les héroïnes de fictions seraient déçues de moi.

Le self a désormais reprit son capharnaüm habituel, signe que tout est éphémère ici, qu'ils nous ont déjà oublié. Cela m'arrange bien, je déteste qu'une foule me regarde. Je relève les yeux pour surveiller la réponse de Robin.

A ce moment, ses yeux rencontrent les miens et cela me pétrifie un instant. Je revois son attitude de ce matin et de ce qu'il s'est passé un instant entre ses yeux et les miens. Mais je me reprends bien vite. Ce mec vient de blesser une amie.

J'ai tellement de mal à le comprendre ! Un coup il est calme et ne dit rien, un coup il dit des trucs (presque) gentil, un coup il prend la parole et insulte les gens. Maintenant, il attend toujours pour me répondre, trouvant sûrement la situation bien amusante.

— Alors ? j'insiste en haussant les sourcils.

Un instant, une once de regret passe dans ses yeux, mais je suis insensible. Il faut qu'il assume ses actes. Soudain, une main se pose sur mon épaule. Je fais volte-face, mais me détends immédiatement en reconnaissant Stephan.

— Laisse-le, m'ordonne-t-il, il n'en vaut pas la peine. Va retrouver Alexia. Elle a besoin de quelqu'un. Je vous retrouve dans deux minutes, le temps que je m'occupe de lui.

J'hésite. Le verbe "m'occuper de lui" m'inquiète, surtout de la part d'un mec baraqué comme lui. Et puis je ne peux pas laisser le plateau renversé et mes amies en plan comme ça. Jane semble capter ma pensée.

— Vas-y, on s'occupe du plateau, on te rejoint avec Stephan.

Je la remercie du regard et jette un dernier coup d'œil à Stephan qui a désormais attrapé Robin par le col. Je n'ai pas le temps de m'occuper de ça, mais je prie tout de même pour qu'il ne l'amoche pas trop. Je n'aime pas Robin, mais je n'ai tout de même pas envie de le voir mort...

DIVISÉS - Transformation [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant