Eric Tabarly

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Ici nous entrons dans un autre domaine, celui des océans.

Ce contact-là n'était pas un artiste. C'était un navigateur. De ceux attirés par la mouvance des flots, hypnotisés par les humeurs de la mer. Le point de départ : un bateau, une épave... dont il tombe amoureux très jeune. Un bateau inscrit dans son parcours de vie. Ce gagnant de nombreuses courses a sillonné les mers, seul ou en équipe, jusqu'à la fin de sa vie.

Cet homme discret, avare de commentaires, a osé livrer des mots bien préparés depuis l'au-delà. Mais pas traces de sentimentalisme envers ceux laissés en bas ; toujours cette pudeur à dire « les choses intimes ».

Il est venu le 7 avril 2018 à 0h15 -

« Je suis Eric Tabarly, le navigateur qui a péri dans l'élément sur lequel il partait si souvent, comme si cela devait se terminer ainsi. J'ai eu un beau parcours tout de même, puisque j'ai vécu pour ce que j'aimais. J'ai fait ce que je préférais, même si ce n'était pas toujours facile, même si c'était parfois désagréable à cause du danger, des imprévus liés à la navigation. Je ne regrette rien. J'ai eu de grands bonheurs sur mer. Ce n'était pas la première vie où je naviguais, j'ai même été pirate en bande organisée dans une vie lointaine. Mon défi dans cette vie était la navigation en solitaire pour éprouver le courage et la peur. Seul le plus souvent et le plus longtemps. C'est ainsi que j'ai avancé dans mon évolution. Mais tout n'est pas gagné pour moi. Il y a encore beaucoup de travail à faire dans le futur, dans mon futur. Mais je garde espoir car le but est de progresser. Je prépare une vie adaptée pour mon avancement, j'essaierai de la vivre au mieux et de m'appliquer pour obtenir satisfaction au moment du visionnage. C'est ainsi pour nous tous : la grande inquiétude de voir ce passage sur la balance par rapport à ce qui était envisagé. Voir si on a pas trop dérapé, si on a pas fait trop de dégâts autour de soi, si on a pas trop écrasé ou méprisé sur notre parcours. Moment difficile que celui de la vérification où on compte les erreurs mais aussi les bienfaits, même petits. Tout compte. Et on ne laisse rien passer, comme une dictée où l'on cherche les fautes à corriger. Car on souhaite les corriger au plus vite, alors que ce n'est pas immédiat. C'est pour plus tard. Dans la prochaine vie. Quand même on participe à de petites choses, des petites aides, et cela nous allège un peu le karma du futur. Je voudrais faire un bonjour à ceux qui sont encore dans leur chemin terrestre : proches ou moins proches, je pense à vous. Merci madame d'avoir pris mon message. Bien que vous ayez été dans l'étonnement, vous avez pris mes mots et pour cela je vous remercie infiniment. Cela fut une joie de communiquer et faire savoir que la vie continue de l'autre côté. Croyez-le bien vous tous en bas.»

Il est vrai que j'ai été étonnée : d'abord il y a eu le prénom seul comme un test (oui, elle m'a bien capté!) puis le nom Tabarly. Mon étonnement a duré jusqu'au moment de la relecture du lendemain où mon ressenti m'a confirmé la joie vécue par ce contact (Je l'ai fait, j'ai communiqué avec la Terre comme un cosmonaute voyageant dans l'Espace!).

Quelques jours après réception du message, je vais en médiathèque, endroit de découvertes et de « signes » qui me sont adressés. J'emprunte le livre « Mémoires du large » écrit par Eric Tabarly. J'ai hâte de découvrir l'homme de son vivant parmi nous, celui que je connaissais que de nom. Cette lecture révèle un être d'une grande sincérité, un être d'engagement : une parole donnée est une parole à tenir. Avant tout c'est un être épris de liberté, de solitude aussi. Bien sûr il y a tout le chemin parcouru depuis son coup de foudre pour PEN DUICK, ce voilier qu'il va sauver et qui le poussera à parcourir les mers, faisant de lui un navigateur de référence doté de nombreuses victoires. Pour cela il fera preuve d'imagination, d'esprit créatif : il innovera dans la construction des autres PEN DUICK, du numéro II jusqu'au VI.

J'ai noté le courage de l'homme, sa force de caractère et son physique performant. A cela il faut ajouter une grande résistance physique et des nerfs d'acier, qualités appréciables pour supporter le corps à corps avec les éléments qui se déchaînent, lorsque tempêtes, orages et hautes vagues (dont les marins calculent les creux à vue d'œil) brisent ou arrachent ce qui est nécessaire à une bonne navigation et réduisent le sommeil jusqu'à l'épuisement. Il faut être fort pour vivre cela au quotidien sur une longue course (même s'il y a des jours d'accalmie) ; il faut tenir, tenir le bateau et l'équipage s'il y en a un. Si à l'arrivée on est sain et sauf et qu'en plus on est le gagnant de la course, sûr qu'on repartira...

En lisant ce livre, j'ai compris le comportement de l'homme naviguant avec « aisance », sans crainte excessive, arrivant parfois au dernier moment pour un départ de course, sachant palier à tous contretemps lors d'accidents de navigation, bricolant des réparations au cours d'incidents techniques survenant sur le bateau ; j'ai senti un homme quiet qui réparait avec les moyens du bord : tout cela a déjà été vécu, il sait d'instinct comment faire, il n'a pas peur (ou très rarement), il s'en est sorti maintes fois dans un passé lointain, dans d'autres vies. Dans celle-ci, il a pris avec lui (parfois) des coéquipiers avec lesquels il a déjà navigué, bourlingué, et avec certains d'entre eux il a fait le pirate, comme il le dit dans son message. Les plus doués sont ceux qui ont déjà parcouru les océans pour des raisons diverses, mais certainement pas sur un radeau ou à galérer fers aux pieds ; ils étaient aux commandes, là-dessus il n'y a pas de doute ; écrivant cela j'ai des images de grands voiliers de jadis avec des hommes à bord chapeautés et perruqués, vêtus à la mode d'une époque pas très jolie : l'esclavage en faisait partie...

Le 24 avril 2018, j'écoute une interview faite par Marc-Olivier Fogiel sur RTL. L'invitée s'appelle Marie Tabarly, c'est la fille du champion. Elle prévoit de faire le tour du monde avec escales sur le dernier bateau de son père, le PEN DUICK VI, celui avec lequel il gagna sa deuxième transat en solitaire en 1976. Elle fera ce tour du monde avec des artistes ou autres personnes utiles sur le bateau et désintéressées. Sont prévues des prises de photos tout du long de la navigation afin de faire connaître le parcours en direct par le biais des réseaux sociaux. C'est un projet sur quatre années. Le départ est prévu en juillet 2018.

La veille de cette interview, je terminais la lecture du livre de son père « Mémoires du large ». Cela m'a fait sursauter et sourire d'entendre la voix de Marie Tabarly que j'avais vue en photo dans les bras de son père : la petite fille avait encore son pouce en bouche ! Dans ses mots j'ai ressenti une énergie semblable à celle de son père. Ce même caractère volontaire qui ne se laisse pas abattre aux premiers obstacles, qui vise le but et s'y tient pour obtenir le meilleur résultat par rapport au projet initial.

J'ai trouvé ce clin d'œil surprenant pour moi ; j'aurais pu ne pas allumer la radio à ce moment-là. Rentrant de courses, fatiguée, mue par un réflexe automatique, j'ai appuyé sur le bouton de la radio en m'asseyant pour souffler un peu...

Lundi 14 mai 2018. Je viens de regarder la télé car j'avais été prévenue qu'il y aurait un petit reportage sur Eric Tabarly dans le Magazine Thalassa diffusé sur France 3. En réalité j'ai revu des extraits déjà visionnés sur le DVD loué en médiathèque un mois plus tôt. J'ai tout de même apprécié de le revoir dans l'émission de Bernard Pivot parmi des littéraires présents sur le plateau. Tout de suite, l'homme en impose par la force intérieure qu'il dégage, celle des êtres qui ont lutté contre de grands dangers et qui ont combattu leurs peurs dans la solitude. Et puis il a cette simplicité et cette humilité, si touchantes, et aussi ce sourire d'enfant heureux qui a réalisé ses rêves.

Il y a cette question d'un journaliste :" Quels messages vous pouvez donner à la jeunesse qui veut suivre votre parcours... ?

Réponse d'Eric Tabarly : Oh vous savez, moi les messages... ( l'air de dire, je parle si peu...) Je n'ai pas de messages à donner... »

Vingt ans après son départ, je remarque qu'il s'est décidé à « donner » un message...

Donner de ses nouvelles après  tant d'années  a sans doute un sens pour lui ; c'est l'année où sa fille Marie Tabarly lui fait un clin d'œil avec son projet de tour du monde sur l'un de ses PEN DUICK.

*1964, première grande victoire d'Eric Tabarly avec PEN DUICK II. A partir de là, il devient un exemple à suivre. La Voile est remise au goût du jour. Des vocations s'éveillent pour faire l'imitation d'Eric Tabarly, fêté comme un héros national.

*Juillet 1998, lors d'une nuit noire où l'affolement règne à bord à cause d'intempéries, un coup de bône pris en pleine poitrine précipite Eric Tabarly à la mer, dans une eau à II°. Tombé sans gilet de sauvetage ni lampe frontale ; ses coéquipiers n'ont rien pu faire. Disparition tragique au large de l'Irlande. Cela s'est passé sur le PEN DUICK pour lequel il s'était démené longtemps afin de le ressusciter. (Cette dernière navigation était pour la célébration du centenaire de sa construction en Ecosse, je crois).

Le 3 juillet 2018, comme prévu, Marie Tabarly a pris le départ depuis Lorient pour un tour du monde avec escales. Nous lui souhaitons un grand bonheur à naviguer en bonne compagnie. Nul doute que son père l'accompagnera dans ses moments de joie ou d'inquiétude.

Personnalités disparues : leurs messages de l'au-delàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant