Ma dernière danse

Chapitre vingt

Je fis demi-tour et parti le rejoindre. Il s'était maintenant adossé contre le distributeur. Il était vraiment très grand, et j'avais l'air si petite dans mon fauteuil. Peut être que j'avais l'impression qu'il était très grand juste parce qu'il était extrêmement fin, d'une maigreur maladive qui faisait peur à voir, avec des cheveux bruns presque noirs coupés «a la mode». Il arborait des yeux bleus nuit soulignés par d'énormes cernes. Il avait le teint blafard et ressemblait à un vampire qui n'avait pas mangé depuis des lustres. Il me sembla qu'il me suffisait de le toucher pour le briser. Il devait sans doute être beau... avant sa maladie. J'arrêtais mon fauteuil à une distance raisonnable, et l'observa attentivement. Je me décidais maintenant à répondre:
«Je m'appelle Andromède. Enfin, d'après mes parents.»
Il réalisa un pseudo-sourire qui ressemblait plutôt à une grimace et répondit:
«Moi, je m'appelle Grégory. Enchanté!
- Ouais, enchantée. Bon, donc tu me disais qu'il était possible de rencontrer Johnny Depp? Comment? Et puis, comment tu peux savoir ça sachant que tu ne l'as même pas reconnu sur mon fond d'écran?»
J'avais quelques doutes sur ses intentions. J'en avais pas mal au lycée qui se la jouait comme ça juste pour obtenir une faveur de la part d'une fille, j'étais donc en droit de douter.
Il fit une moue, se redressant et paraissant au passage encore plus grand. Il reprit, de sa voix toujours aussi puissante et grave pour son corps:
«Primo, je le ''connais'' que par son nom. Secundo fallait bien que je trouve une excuse pour te parler, t'avais l'air tellement seule. Et si je te le dit c'est que je le sais. Ici, c'est possible de demander au personnel soignant des «vœux», des choses que tu aimerais vraiment faire avant de passer vers l'autre côté, genre de mourir tu vois. La plupart du temps, les personnes utilisent ce vœu pour faire une chose qu'ils n'ont jamais pu faire avant. »
Là je roulais des yeux. C'était en fait comme une dernière volonté, un ultime adieu au monde avant de s'enfermer dans la prison funéraire qu'est la maladie. Je n'allais pas mourir, c'était sûr et certain. Plein de gens sont sortis indemnes de la maladie, alors en faisant des efforts et en se battant comme il faut ... C'était totalement possible! Je baissais les yeux et vis Laureline me faire un signe de la main pour me prévenir qu'elle avait fini et qu'on pouvait y aller. Pile au bon moment! Je regardait Grégory et lui dit:
«Mon infirmière a fini, je vais devoir y aller, mes parents arrivent dans quelques heures. Je vais essayer de lui parler pour ce vœu... Mais je ne pense pas être à ce stade de ma maladie. Et toi alors? Tu es atteint de quoi?»
Il me regarda longtemps, comme perdu dans ses pensées. Puis il ajouta:
«à bientôt j'espère, Andromède. Ou plutôt j'espère pas, parce que souvent quand t'arrive ici à plein temps c'est mauvais signe.»
Il partit de l'autre côté du couloir et prit l'ascenseur, adressant un petit signe de la main pendant que je me dirigeait vers la fameuse infirmière, lui rendant son salut. Elle me poussa jusqu'à la chambre, puis elle me dit:
«Alors t'as rencontré Grégory a ce que je vois. C'est un bon garçon, ne t'inquiètes pas. Un peu dans les nuages parfois... Mais ça va. Qu'est ce qu'il te racontait de beau? Ses exploits avec le personnel de l'hôpital?»
Elle dit tout cela en riant à intervalles réguliers. Je sourit avec elle et ajoutait:
«Non, il m'expliquait juste une histoire de vœu de la fin, genre comme une dernière volonté. C'est un peu flippant tout de même. Mais c'est vrai au moins?
- Bien sûr, me répondit-elle, il dit la vérité. Mais c'est pas un vœu de la dernière chance. C'est plutôt un cadeau que peut offrir l'hôpital aux gens qui viennent ici régulièrement. Mais toi, tu viens que pour des contrôles et des tests, tu n'es pas pensionnaire comme lui.
- Il est souvent ici? Il n'a pas voulu me dire de quoi il est atteint...
- C'est normal, il est atteint d'une maladie rare qui le fait maigrir et qui l'expose à tout les microbes et bactéries possibles et imaginables. C'est pour ça qu'il sort très peu d'ailleurs, mais il se soigne et son état n'empire plus depuis. Mais il est quand même obligé de rester ici car dehors, c'est beaucoup trop dangereux pour lui. »
Je comprenais mieux pourquoi il ne voulait pas m'en parler. Il ne veut pas se plaindre et faire son fragile devant les gens. Beaucoup de gens ont cette fierté d'ailleurs. J'étais encore perdue dans mes pensées quand Laureline reprit:
«Il parle peu et tu as de la chance qu'il t'ai parlé. Je pense que tu devrais lui rendre une petite visite avant de partir, ça lui ferait plaisir. Il est à l'étage du haut, 6 ème porte à droite. Je te laisse y aller, j'ai d'autres patients à gérer!»
Elle sourit, de ce sourire gentil et maternel qu'on les infirmière, puis Elle m'ouvrit la port et je sortis pour me diriger vers l'ascenseur qu'il avait emprunté. Je montais et suivis les instructions de Laureline à la lettre. Je toquais à la porte et entra doucement, poussant la porte d'une main en essayant de faire avancer ce foutu fauteuil. La porte fût tirée rapidement par Grégory qui avait rejoint rapidement l'ouverture. Je pus enfin rentrer librement et lui souffla un merci presque imperceptible. Il avait allumé la télé et passait un film. Un film que je connaissais mieux que bien... Pirates des Caraïbes! Je lui souris et dis: «Bah alors, tu dis ne pas connaître mister Depp mais tu regardes l'un des films dont il est le principal acteur?
-Quoi?, dit il en ouvrant grand ses yeux, Johnny Depp est Jack Sparrow? Vraiment? Mais je regarde ce film depuis toujours!
- et tu ne t'es jamais intéressé aux  acteurs?
- Bah non, à quoi bon... Mais je comprend mieux pourquoi tu l'aimes autant! Il joue vraiment bien.
- Normal, c'est le King Depp!»
Je ris et ce rire provoqua un véritable sourire du côté de mon interlocuteur.
«Alors, ce vœu, tu vas le faire?
- Impossible, je ne suis pas là «assez souvent» comme ils disent pour le faire. Dommage, mais en même temps je suis bien heureuse de ne pas avoir à vivre ici à plein temps!»
Il me regardait fixement après ces mots, réfléchissant longuement. Puis, après mûre réflexion, il dit:
«Moi je peux le faire, nan...?»