Chapitre deux

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Edenn battit des cils plusieurs fois, les yeux levés vers le ciel. C'était un lundi morne, le genre de début de semaine fatiguant dépourvu de toute énergie et motivation pour faire quoi que ce soit. Il pleuvait, d'énormes nuages noirs se dessinaient à l'horizon et s'accrochaient aux montagnes comme s'ils voulaient s'y empaler. Le soleil ne pointait pas le bout de son nez et la jeune femme se perdit dans la contemplation d'un cumulo-nimbus.

Sur sa droite, un trio d'étudiants se penchaient sur leur portable, s'échangeant à peine quelques mots. La première était dans sa classe de biologie, une grande brune aux immenses yeux bleus qu'elle maquillaient toujours avec une épaisse couche de fard à paupières gris et ses lèvres peinturlurées d'un rouge à lèvres brillant qui sentait fort la noix de coco. Elle s'appelait comment déjà ? Effy, Sophie, un nom dans cet esprit-là.

Edenn ? Oh tu m'écoutes ?

Elle manqua de sursauter en pivotant sur sa gauche. Yugyeom se tenait là, droit comme un piquet, son habituel sourire idiot placardé sur le visage.

La tête que tu fais, on dirait que t'as vu un monstre, gloussa son ami en agitant sa main dans le vent.

En même temps vu la tienne, c'est pas étonnant que j'ai peur, répliqua Edenn du tac au tac.

Son camarade afficha une mine outrée. « Espèce de sans cœur », répétait-il en prenant un air blessé, ce qui la fit plus rire qu'attiser sa pitié. Elle portait une oreille distraite aux lamentations de l'étudiant, plutôt concentrée sur une grenouille qui sautillait sans peur sur la route détrempée.

Des pneus crissèrent sur l'asphalte et la goule cligna paupières lorsque le batracien fut broyé sous les roues du bus scolaire. Elle grimaça un « Pauvre grenouille » avant de replacer son sac sur son épaule, sans quitter du regard le petit tas de chair brune coincé entre deux interstices du pneumatique. Yugyeom ne cessait de râler parce qu'elle trainait la patte, peu encline à grimper dans le car. Juste de penser au cours de biochimie moléculaire l'épuisait, et il en rajoutait une bonne couche sur l'évaluation qui n'allait pas tarder à tomber.

Edenn s'installa côté vitre, ramena ses genoux contre sa poitrine, ignorant comme il se doit la ceinture de sécurité. Le véhicule redémarra dans un vrombissement insupportable, elle se demandait tous les jours pourquoi ils n'investissaient pas dans une nouvelle machine, ce n'était pas comme si l'université ne disposait pas des moyens pour le faire... Les caisses de la faculté débordaient, ils préféraient financer une fontaine pour la cour intérieure plutôt que dans des nouveaux vidéos projecteurs ou des moyens de transport fiables.

Tu viens à la prochaine réunion ? Ysabeau risque de se fâcher si tu en rates encore une... chuchota Kim en se penchant en avant pour voir si elle dormait.

On ne parle pas de ça ici Yugyeom, je te l'ai déjà dit, assena-t-elle d'une voix bourrue.

Oui oui je sais.

Il n'ajouta rien et s'installa au fond de son siège avant de dégainer ses écouteurs et son téléphone. Edenn soupira et ébouriffa la chevelure jaune poussin de son ami. Elle n'aimait pas le voir déconfit de la sorte parce qu'il avait fait une erreur, et elle culpabilisait vite de lui avoir répondu ainsi. Il lui décocha une risette avant de pianoter le titre d'une chanson sur son clavier. Elle détourna son attention de lui pour se tourner vers l'extérieur.

Le paysage défilait sous ses prunelles, un environnement vallonné par la forêt, dense et sauvage bien qu'une mine ait été construite il y a de nombreuses années au fin fond de la vallée. La jeune femme s'en souvenait comme si c'était hier : bon nombre de citadins avaient protesté contre l'installation de ce complexe car la faune et la flore s'en verraient impactés... Et les habitants de la nuit également. Quand les travaux avaient débuté, la sylve toute entière avait tremblé, des arbres centenaires avaient chuté et leurs sanglots remontaient encore à ses oreilles.

Le prix de ton âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant