Chapitre vingt-quatre

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Le ciel paraissait s'embraser, se nimbant d'orange et de rouge. Le soleil se levait sur la vallée et éclairait de ses rayons dorés la cuvette alors qu'Edenn contemplait avec sidération les dégâts de l'incendie. Une partie de la forêt était partie en fumée, ne restait que des tas de cendres fumantes et des souches mortes. Par endroits certains conifères avaient résisté au brasier et se dressaient, fiers rescapés de l'horreur de la veille.

Qui aurait pensé qu'un tel drame se produise ? Même dans ses pires cauchemars rien de tel ne s'était produit. Elle inspira une grande goulée d'air, de nouveau prise dans un tourbillon de souvenirs. Sa course effrénée à travers les sous-bois, la peur qui l'avait submergée au moment où elle croyait que tout était perdu, sa chute dans le ravin... Les images tournaient dans son esprit nuit et jour depuis cette terrible soirée.

Le visage calciné de ses camarades, les hectares réduits à néant... Les dommages étaient impressionnants. Les pertes dans leurs rangs se comptaient en centaines, et certains corps n'avaient pas été retrouvés – le nombre de disparus ne cessaient de s'élever alors que l'incident datait de plusieurs jours. Elle se souvenait du moindre détail, chaque seconde imprimée dans sa chair et son esprit, marquée au fer rouge par la morsure des balles et de l'effroi.

Edenn avait ressenti pour la première fois de la terreur. Celle de perdre Ysabeau et Yugyeom, de se retrouver seule dans ce monde qui la révoltait au plus haut point. Elle n'aurait pas supporté d'apprendre leurs morts ; évidemment, la rousse avait envisagé la possibilité de ne plus jamais les revoir. Alors quand elle avait vu la large silhouette de son ami, recouvert de suie, elle n'y croyait pas.

Au cœur de l'épouvante, la goule avait cru mourir. Elle qui se confrontait si souvent au danger, marchant sur le fil du rasoir en permanence, cette fois-ci, elle avait réalisé qu'elle ne voulait pas disparaître. Qu'au milieu de cet enfer, il lui restait quelque chose à protéger, bien qu'elle pensât que plus rien ne la retenait dans ce coin pourri, une flamme s'était allumée dans son cœur alors que les flammes dévoraient tout autour d'elle.

Edenn, on y va ? Ysabeau nous attend.

L'écarlate se tourna vers Yugyeom, un pâle sourire collé aux lèvres. Une brise fraîche caressa son visage et elle ferma les yeux quelques instants. Le murmure des disparus atteignit ses oreilles et la mangeuse d'âmes expira longuement, leur promettant de venger leurs mémoires dès qu'elle en aurait l'occasion. Ils entamèrent la descente, silencieux.

Elle observa une dernière fois les cimes noircies et les quelques nuages sombres s'élever dans l'air matinal avant de se tourner vers le sentier escarpé, mains dans les poches. Après l'incendie, les survivants s'étaient regroupés au fond du val, là où ils se réunissaient en cas de crise. Dame Solange, une Ancienne à la beauté sauvage et aux iris si pâles qu'Edenn s'était demandé si elle n'était pas aveugle, leur avait indiqué leur refuge.

Beaucoup de questions s'étaient posées, la plupart sans réponses. L'étudiante enjamba un rondin, perdue dans ses pensées. Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire. Comment la BAC avait-elle pu les débusquer avec autant de précision ? Cela faisait des années qu'ils s'étaient installés là, sans jamais se faire attraper. Évidemment il y avait eu des affrontements lorsque les Sohei faisaient des descentes afin d'en éliminer quelques-uns mais jamais ils n'avaient eu à subir tant de pertes en si peu de temps.

Certains, plus impétueux que les autres, songeaient à une conspiration des Chasseurs de feu. La plupart s'étaient rebiffés face à une telle affirmation, cependant la supposition paraissait plausible. Les Chasseurs de feu faisaient partie de leur communauté, ils savaient donc où ils se terraient.

Tu m'écoutes Edenn ?

La rousse battit des cils et grimaça en guise d'excuses. Son camarade lui tapa gentiment l'épaule en soupirant, habitué à la voir la tête dans les nuages.

Le prix de ton âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant