Le prix de ton âme

Chapitre onze

Le vent soufflant entre les arbres. Le bourdonnement des insectes. Le clapotis discret du ruisseau. Le raclement des sabots dans la terre. Le brame rauque d'un cerf. Le bruissement des feuillages. Le gazouillement des oiseaux. Le croassement d'un corbeau s'envolant de sa branche. L'odeur de la résine. Les senteurs fraîches des sous-bois.

Les sensations se déversaient sur le corps de Jaebeom, perché sur un énorme rocher plat. Il contemplait la forêt, s'imprégnant autant que possible de l'atmosphère paisible du lieu. Le soleil baignait au cœur d'un ciel aussi bleu que la mer, ce qui était plutôt rare pour la saison. La sylve était plongée sous un épais manteau de neige et les montagnes à l'horizon se recouvraient à leur tour de givre. Il contempla une buse voleter au-dessus des résineux, une souris entre les serres.

Le vampire expira longuement, perdu dans ses pensées. Voilà plusieurs heures qu'il se tenait là, à compter les moutons imaginaires. Ses muscles commençaient à se tétaniser, phalanges engourdies mais cela ne l'affectait pas. Les éléments lui glissaient dessus, il aurait pu pleuvoir des cordes, la foudre aurait pu le frapper qu'il n'aurait pas bouger d'un iota. Une léthargie profonde l'empêchait de réfléchir, de penser correctement.

Comment tout ça avait pu arriver ? Cette question tournait en boucle dans sa tête. Aucune réponse concrète ne lui venait à l'esprit et ce n'était pas faute d'avoir cogité des nuits durant. Les évènements s'étaient enchaînés à une vitesse folle, sans qu'il puisse ralentir le mouvement. Il avait beau remuer le couteau dans la plaie, aucune explication censée ne jaillissait des flammes. D'abord, il l'avait affrontée dans une rue pour des sornettes. Puis il lui avait sauvée la vie.

C'était à partir de ce moment que tout avait dérapé. Le sol s'était dérobé sous ses pieds, l'entraînant dans une chute mortelle. Il leva les yeux vers le ciel, paumes à plat sur le granit glacé. Il se remémorait chaque heure, chaque minute passée en sa compagnie. Ses larmes, ses cris, sa rage résonnaient en lui comme le glas d'une église. Ses secrets, ses confidences, ses mimiques, son rire s'inscrivaient dans sa chair, au plus profond de son être.

Ce n'est pas possible que ce soit elle, songea-t-il en lançant un caillou dans la rivière. Depuis le bal, Jaebeom ne pensait qu'à une seule personne : Edenn. Elle occupait l'entièreté de son espace psychique, s'immisçant sournoisement dans sa conscience. Il reniflait son parfum partout, où qu'il se rende il avait l'impression de la voir, de l'entendre ricaner dans son oreille et ces sensations le rendait fou. Si c'était réellement le Lien, il souhaitait mourir. Se lier avec une goule ? De mémoire de buveur de sang, ce n'était jamais arrivé. En presque deux cents ans d'existence et des dizaines et des dizaines d'individus côtoyés, il avait fallu que cela tombe sur lui, Lim Jaebeom.

– Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? murmura-t-il, prunelles dirigées vers le soleil.

Ses mots s'envolèrent dans le vent avec un nuage de vapeur blanche. Le chasseur se redressa, une tension présente dans le bas du dos. Il bondit de son perchoir, atterrissant souplement sur le tapis de feuilles mortes. Les sous-bois se taisaient autour de lui, la plupart des bêtes ayant pris la direction du Sud. Il enjambait les souches, perdu dans ses pensées, sans faire attention où ses pieds l'emmenaient. Depuis le bal, Jaebeom s'isolait.

Il ne se rendait plus en cours, évitait autant que possible les attroupements et surtout, il esquivait Jinyoung. Leur altercation lui laissait un goût amer dans la gorge et il ne comprenait pas sa réaction. Sa colère était légitime, néanmoins son acolyte n'avait pas à le mettre en porte à faux dès qu'il en avait les moyens. Il buta dans une pomme de pin, agacé de remâcher ces évènements en continu. L'étau qui lui comprimait le cœur devenait insupportable et le pire dans tout ça, c'était qu'il ne pouvait en parler à personne, pas même à son meilleur ami.