Le prix de ton âme

Chapitre quatre

Il pleuvait depuis plusieurs jours en continu. Le ciel se zébrait d'éclairs, les cumulo-nimbus s'amassaient autour de la lune et la masquaient aux yeux de la petite assemblée.

Voilà plus de deux heures qu'ils se tenaient là, alignés les uns contre les autres face à une pierre tombale. Ils se taisaient, les paupières closes dans une prière silencieuse, les mains jointes et immobiles tels des statues de pierre. Edenn ne parvenait pas à honorer la mémoire de Tamara. Pas qu'elle ne le voulait pas, mais plutôt qu'elle n'en était pas capable.

Elle culpabilisait de ne pas avoir été en mesure de la sauver. Elle avait pu penser à autre chose en allant en cours mais dès qu'elle remettait un pied chez elle ou qu'elle parcourait les sous-bois, les souvenirs l'assaillaient de toute part. Les cauchemars ne disparaissaient pas, au contraire ils s'amplifiaient.

Elle n'avait pas pu fermer l'œil de la nuit : des visages fantomatiques flottaient en permanence devant ses rétines, des voix mortuaires lui chuchotaient des paroles doucereuses sans qu'elle parvienne à les chasser.

Le visage pâle et ensanglantée de sa camarade l'obsédait. Ses immenses iris la suppliaient, sa bouche entrouverte en un cri muet, le bras faiblement tendu... La réalité l'accablait et Edenn étouffait. Comment pouvait-elle reprendre sa petite vie quand sa comparse se retrouvait six pieds sous terre ? Avait-elle seulement le droit de poursuivre sa route sans une once de remords ?

Elle serra le poing en repensant à l'instant où la balle du Sohei avait pénétré la boite crânienne de Tamara. Si seulement elle était arrivée plus tôt, si seulement Jaebeom n'était pas intervenu... La rousse aurait pu la protéger.

Le vampire était tout aussi coupable qu'elle : par son geste, il l'avait empêché de se jeter dans la bataille. Elle revisualisait ces moments sans arrêt, un film qui se répétait à l'infini, elle cherchait la faille, la seconde où elle aurait eu la possibilité de se détacher de la poigne du buveur de sang...

Une larme vermeille roula sur sa joue blanche. Elle n'osait pas affronter le regard des autres goules et surtout ceux des parents de Tamara. La tristesse planait au-dessus de la clairière, l'air se chargeait en humidité. Les émotions de chacun atteignaient la jeune femme de plein fouet, son organisme mis au diapason de tous les autres : et cela, elle ne le supportait pas.

Son cœur malmenait son médiastin, ses jambes flageolaient sous sa longue tunique noire et son souffle saccadé s'élevait en une fumée blanchâtre dans l'éther glacé. Tout bourdonnait dans sa tête à une allure beaucoup trop soutenue à son goût. Sur sa gauche, Yugyeom regardait droit devant lui, le torse bombé par le chagrin.

Même s'il ne larmoyait pas, Edenn savait qu'au fond de lui, il déplorait la mort de sa compagne. Il avait pris l'habitude de ne pas montrer ce qu'il ressentait, par honte ou par fierté ça elle l'ignorait, mais sous sa carapace se cachait un cœur tendre et sensible.

Une fois, elle l'avait surpris en train de pleurer parce qu'il n'avait pas pu sauver un petit oiseau d'une chute mortelle. Lui, le grand et svelte Kim Yugyeom, un prédateur redoutable, avait pleurniché parce qu'un moineau s'était écrasé sur le sol. Elle avait passé le reste de l'après-midi à le réconforter car il n'avait cessé de répéter que la faute lui incombait. Pourquoi est-ce que cette image en particulier remontait à la surface à cet instant ?

Il se pressa davantage contre elle, sentant sans doute sa détresse. D'un geste mal assuré, il s'empara de sa main et la serra fort entre ses doigts et presque aussitôt, les larmes se coincèrent à la commissure de ses globes oculaires. Sa peine lui comprimait le ventricule avec tant de force qu'elle aurait pu vomir ses tripes dans l'herbe tant elle était abattue, triste et fatiguée.