Chapitre six

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Un visage à l'horizontal. C'était la seule chose qu'elle était en mesure de voir, incapable d'effectuer le moindre mouvement. Une douleur lancinante broyait sa jambe droite, aucune sensation au niveau du bassin. Anesthésiée de partout à l'exception de son membre en proie à une souffrance incommensurable. Même respirer devenait un effort, sa cage thoracique peinait à se soulever sans qu'une quinte de toux ne la saisisse. L'impression d'avoir les poumons au bord de l'implosion. Elle tenta de tourner la tête, chercher de l'aide, sans succès. Partout autour, une obscurité tangible, étouffante.

Confrontée à un faciès fantomatique, impossible de détourner le regard. Les traits paraissaient floutés, comme si on avait plongé la tête dans du brouillard. Et pourtant, elle distinguait son expression. La bouche entrouverte en un cri muet, les yeux écarquillés comme s'il avait vu un mort, le teint cadavérique. Son mollet semblait prendre feu, une combustion interne qui lui donnait envie de hurler, de s'arracher la peau. Elle n'avait jamais eu autant mal de toute sa vie. Aucune expérience passée ne se comparait à celle-ci.

Était-ce la réalité ? Ou bien n'était-ce qu'un rêve ? L'affliction en tout cas, elle la ressentait. Elle prenait le pas sur toutes les autres perceptions. Elle ignorait si sa jambe se rattachait encore à son tronc ou si elle gisait plus loin. Peut-être même que son corps se disloquait, pourrissait de l'intérieur et qu'elle assistait à sa propre fin. Le lieu lui rappelait étrangement quelque chose, comme si elle avait déjà mis les pieds dans cet endroit. La jeune femme tenta de s'appuyer sur les coudes mais à peine essaya-t-elle de bouger que les tendons de son cou émirent un horrible craquement. Oui, elle était déjà venue ici.

Le monde disparut autour d'elle. Son voisin l'appelait, sa voix ténue n'atteignait pas ses oreilles alors que l'environnement se mettait à tournoyer. En un instant, Edenn se retrouva piégée dans une ruelle et encore une fois son corps refusa de lui obéir. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, menaçant d'en jaillir à tout instant. Une fine silhouette apparut à l'autre bout de la venelle et un mauvais pressentiment s'empara de son esprit. Quelque chose ne tournait pas rond.

Les ténèbres l'encerclaient, seule une lanterne illuminait le fond du chemin. La lumière se rapprocha en même temps que l'inconnu filait dans sa direction, son ombre se projetant en faisceaux sur les murs moisis. L'envie de vomir la balaya lorsqu'elle reconnut de qui il s'agissait : Tamara.

De nouveau, changement de décor. Edenn crut s'effondrer en constatant qu'elle était à l'endroit où son amie avait perdu la vie. Elle voulut crier, s'époumoner mais aucun son ne franchit le seuil de ses lèvres. Un étau glacé la compressait, c'était tout juste si elle pouvait inspirer pour ne pas perdre connaissance. Deux autres individus apparurent dans un écran de fumée et la goule manqua de se briser la colonne vertébrale tant sa tentative vaine pour se détacher fut violente.

Les deux Sohei. Les assassins de sa camarade. Une décharge électrique traversa son nerf optique alors qu'un goût de bile monta au fond de sa gorge. Ils s'avançaient dans la brume, le col de leurs manteaux remontés au maximum, l'arme au poing. Tamara, fuis, vite ! Evidemment, la blonde ne l'entendait pas. Elle ne savait même pas si elle la voyait. S'arque-bouter, se démener comme un beau diable afin de se dépêtrer de cette étreinte douloureuse, sans succès.

Le premier Sohei affichait une expression écœurante. Un large sourire fétide s'étirait sur son visage maigre tandis que ses dents pourries pointaient vers l'avant en une grimace immonde. Dans ses prunelles crépitait un feu qu'elle ne connaissait que trop bien. La haine. De tous les sentiments, la haine était celui le plus visuel, le plus palpable. Sa langue se coinçait entre ses lèvres violacées, à travers ses yeux elle ne voyait plus un humain.

Elle voyait un monstre.

Edenn ordonna à ses membres de se mouvoir, elle devait aller secourir son amie. Elle refusait de la voir mourir devant elle. L'impuissance rongeait son âme alors qu'aucun de ses doigts ne souhaita s'actionner. Le sang battait à ses tempes, son champ de vision se troublait à cause du manque d'oxygène, l'impression d'étouffer. Une crise de panique la submergeait, des taches de lumière apparaissaient peu à peu devant ses rétines en serpentins colorés tandis que le Sohei braquait son fusil sur Tamara.

Le prix de ton âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant