Le prix de ton âme

Chapitre neuf

Les premières neiges avaient noyé la forêt dans le givre et la glace. Un épais manteau blanc recouvrait les arbres tandis que des stalactites pendaient des branches : le monde se cristallisait sous cette cape hivernale. Edenn détestait cette période de l'année, et pour cause : la chasse devenait ardue car les animaux se cachaient tous, les petites proies hibernaient et les plus grosses se tapissaient au fin fond des sous-bois, rendant leur capture difficile.

Bien qu'elle n'appréciât pas la saison froide, les paysages la stupéfiaient toujours. Les feuilles gelées craquelaient sous ses doigts avant de se dissoudre comme du papier de verre. Les animaux laissaient derrière eux un sillage d'empreintes noires, elle aimait suivre du regard ces pistes sinueuses à travers les fourrés et les traquer pour voir où les bêtes se dissimulaient. Sous ses prunelles, la nature se figeait dans un tableau teinté de bleu et de blanc et elle expira, créant un nuage de fumée rapidement évaporée dans l'air marmoréen.

L'université était bondée, pour son plus grand malheur. Elle cherchait un chemin peu fréquenté mais il semblait que toutes les issues étaient bouchées... Impossible d'éviter la foule. Les étudiants criaient juste à côté de ses oreilles, lui arrachant une grimace désobligeante. Si seulement ils pouvaient tous se taire, ses tympans se porteraient sans doute mieux. La rousse se fraya un passage parmi la cohue d'universitaires, jouant parfois des coudes pour ne pas se faire piétiner.

La mort de Steve paraissait loin de leurs esprits, ils avaient tous retrouvé le sourire. Ils s'agitaient comme des babouins en plein milieu du couloir, sans se préoccuper de ceux qui souhaitaient se rendre en cours sans encombre. D'où provenait toute cette effervescence ? La neige leur ramollissait le cerveau, il n'y avait pas d'autres explications. Elle grogna lorsqu'un barbu lui écrasa le pied et l'œillade assassine qu'elle lui lança le fit aussitôt blêmir. Marche-moi encore sur le pied et je te fais manger ta langue, pensa-t-elle alors qu'il déguerpissait.

L'agitation et l'afflux permanents d'adolescents la rendaient nerveuse et particulièrement irritable. Entre la neige et ces imbéciles, Edenn décrochait le pompon. Ce calvaire se répétait chaque année et malgré tout, elle continuait de venir ici, entourée d'humains malpolis et irrespectueux. Le hall d'entrée grouillait de vie, une véritable fourmilière beuglante et insupportable. Elle glissa sur le côté, rasant le mur autant que possible : le moindre contact hérissait les poils de sa nuque. Elle était à fleur de peau depuis quelques jours, sans vraiment savoir d'où cette agressivité palpable provenait.

Sans doute depuis que ses terreurs nocturnes envahissaient de nouveau ses nuits. Lorsqu'elle s'éveillait encore en proie à ses cauchemars, la goule ne savait plus si sa chambre était authentique ou s'il s'agissait d'une création de son esprit. La frontière entre la réalité et le rêve devenait floue dès qu'elle ouvrait les yeux. Et cette impression de confusion se poursuivait parfois pendant plusieurs heures et elle demeurait tétanisée au fond du lit, paralysée par l'appréhension de se faire avaler par une gueule béante.

Dans sa dernière hallucination, elle était étendue sur un carrelage glacé, ficelée comme un rôti par des cordes invisibles et des piques s'enfonçaient dans ses paumes et ses pieds. Un fourmillement parcourut son bras droit alors que les bribes de ce fantasme lui revenaient en mémoire. Un étau mordant lui avait enserré la gorge, la dernière chose dont elle se remémorait avant de se réveiller était cette paire d'yeux rouge sang penché sur elle et cet horrible sourire malveillant penché sur elle...

– Edenn !

La voix de Noah perça sa bulle et la rousse se retourna juste à temps pour esquiver l'étreinte de sa camarade. La brune affichait une grande risette, un paquet de flyers sous le bras.

– Qu'est-ce que tu fais avec tout ça ? demanda Edenn en fronçant les sourcils.

– C'est pour le bal masqué ! Vu que je fais partie du comité des élèves, j'accroche des flyers un peu partout, répondit-elle, fière de participer à ce genre d'évènements.