Le prix de ton âme

Chapitre sept

Pas un nuage ne troublait la tranquillité du soleil. La forêt avait revêtu son manteau automnal, teintes orangées et brunâtre. Le ciel prenait une couleur pâle, une espèce de gris délavé qui abîmait la rétine si on le fixait trop longtemps. Le temps était idéal pour une randonnée et pour Edenn, une météo parfaite pour faire quelques photos. Elle aimait parcourir la sylve en long, en large et en travers et immortaliser des instants dans son appareil.

– Je pars faire des photos, je rentre pas tard, dit-elle avant qu'Ysabeau ait ouvert la bouche pour l'avertir d'un quelconque danger.

Sa tutrice hocha la tête, des rides creusaient son visage fin, créant des sillons de calcaire dans ce faciès parfait malgré les années écoulées. Elle ne perdait rien de sa beauté, longue crinière ébène clairsemée de mèches argentées, yeux d'opaline et nez droit, pommettes hautes et cou marqué par plusieurs cicatrices, vestiges de ses nombreux combats.

– Fais attention à toi. Ils ont prévu une chasse très bientôt.

Edenn approuva d'un mouvement énergique d'épaules, remonta la fermeture de sa veste et sortit de la maison. En quelques secondes elle fut au cœur des sous-bois, son « arme » à la main. Son circuit était tracé d'avance, elle pourrait progresser les yeux fermés, elle savait parfaitement où se diriger. La forêt était son royaume, elle la connaissait dans ses moindres recoins. Elle chemina parmi un bosquet de mélèzes et de pins, le sol tapissé d'aiguilles craquaient sous ses pieds alors qu'elle tendait l'oreille.

Les odeurs se décuplaient : mélange de sève, d'humus et plus subtiles, les effluves de fer. La jeune femme prenait régulièrement ce chemin dégagé pour rejoindre un autre sentier en contrebas. Elle entendait le ronflement des voitures, la route passant à une centaine de mètres de cet endroit. Les conifères s'élevaient, immenses rois du bosquet. Elle leva le regard vers la cime, cherchant un oiseau à photographier.

La goule s'imprégnait des moindres parfums qui lui indiqueraient la présence d'un être humain ou animal. Les randonneurs aimaient se promener dans cette pinède, elle pourrait sans peine se cacher en hauteur et immortaliser leur marche. Cela semblait être du voyeurisme mais Edenn aimait ce genre de jeux, chaque cliché lui servait à quelque chose. Elle conservait tout, développait ses prises dans sa cachette perdue au milieu des arbres et classait les instantanés dans des classeurs.

Elle emprunta une seconde artère. Les résineux s'espaçaient davantage, comme s'ils avaient été plantés artificiellement. Cela n'avait rien d'étonnant : en descendant encore, la rousse atteindrait la première cabane à couper le bois. Et plus elle dévalerait la pente, plus ce genre de paysage serait flagrant, et au fond de la vallée, elle trouverait la carrière. Elle ne s'y aventurait jamais, non pas qu'elle n'en avait pas envie mais plutôt que c'était trop dangereux.

Elle s'arrêta au pied d'un sapin au tronc large, prit appui sur ses pieds et saisit la première branche. L'ascension fut rapide, elle ne tarda pas s'élever de plusieurs mètres au-dessus du sol. Là, elle dégaina son appareil et zooma sur l'espèce de maisonnette, patientant que le bûcheron sorte fumer sa cigarette. Il ne tarda pas à franchir le pas de la porte et aussitôt, Edenn le prit en photos à plusieurs reprises. Elle classerait ces instantanés dans le cahier « Le bûcheron du cabanon » dès qu'elle aurait racheté de quoi développer le fruit de son travail.

La jeune femme l'observa tirer longuement sur son bâton de tabac, les lèvres pincées. Sa grosse barbe hirsute lui donnait un air de gentil grand-père, sourcils broussailleux et crâne dégarni. Il louchait un peu en biais, sans doute à cause d'un strabisme non traité, il expirait la fumée par le nez et roulait à chaque inspiration son clope entre ses doigts jaunis par la nicotine. C'était toutes ces petites habitudes de vie que la rousse aimait examiner afin de mieux comprendre pourquoi il agissait de la sorte. Son chien commença à aboyer avec férocité, secouant la queue et sa bave coulant le long de ses babines.