Chapitre vingt-trois

13 2 0
                                    

Nuit noire. La lune trônait haute et fière au cœur du firmament, énorme disque de lumière argentée au milieu d'une toile d'encre. Aucun nuage ne venait troubler sa quiétude, les orages des dernières semaines étaient loin et avaient laissé derrière eux des terres chargées d'humidité. Le calme régnait sur la ville, les gens sortaient malgré l'heure tardive, riant dans les rues pourtant dépeuplées.

Une accalmie nécessaire dans ces temps de troubles.

A des lieux de là, Edenn enfila ses chaussures, revêtit ses vêtements sombres et sa cagoule de chasse. Pour les goules aussi l'heure de sortie approchait ; après des semaines sans avaler quoi que ce soit, la jeune femme mourrait de faim. Le jeûne touchait à sa fin, elle pouvait recommencer ses escapades nocturnes sans s'évanouir au bout de quelques kilomètres de marche.

Elle boucla ses lacets et se redressa, faisant craquer chaque articulation de son corps une à une. Elle fléchit les genoux plusieurs fois, elle devait relancer la machine rouillée par l'abstinence. Après quelques échauffements, elle prit son élan et s'appuya sur le rebords de sa fenêtre avant de bondir. Atterrissage tout en souplesse, sans un bruit.

Ses chevilles musclées absorbèrent le choc sans sourciller et aussitôt, ses sens s'éveillèrent. Les lumières du salon s'allumèrent alors et l'étudiante pivota en même temps qu'Ysabeau ouvrait la baie vitrée, bras croisés sur sa poitrine. Ses iris immenses, clairs comme de l'eau de roche, lui disaient de se montrer prudente. Les monstres se tapissaient dans la pénombre et elle le savait très bien.

Edenn inclina la tête en avant pour signifier qu'elle comprenait le message, puis tournoya dans la direction opposée, vers les sous-bois ténébreux. Là, elle posa sa paume sur le tronc mousseux d'un bouleau, savourant les senteurs et les sons de la forêt endormie. Le bruissement des arbres, le raclement de terre des sangliers, le hululement d'une chouette, le clapotis du ruisseau... Elle redécouvrait la nature, celle qu'elle avait délaissée durant son deuil.

Je suis de retour, pensa-t-elle en faisant un pas en avant.

De multiples arômes parvenaient à ses narines. Senteurs de résine, d'humus, de rosée, de vase, son cerveau triait les informations au fur et à mesure qu'elle progressait dans les taillis. Le satellite projetait des rayons translucides à travers la cime des arbres, créant des ombres sinueuses sur le tapis de feuilles mortes. Elle battit des cils, la bouche entrouverte afin de capter autant de fragrances que possible.

Son estomac gargouillait et elle claqua sa langue contre son palet, agacée. Ce n'était pas comme ça qu'elle allait attraper une proie, son appétit la trahissait. Elle espérait tomber sur du gros gibier, un animal qui la rassasierait pour plusieurs jours avant de devoir avaler une âme. L'étudiante avançait avec précaution en longeant le torrent, sachant que des bêtes comme des blaireaux ou des jeunes chevreuils venaient s'abreuver lorsque la lune s'élevait dans le ciel.

La tranquillité des lieux troublait la chasseuse. Elle entendait les habitants de la nuit mais elle n'avait encore croisé le chemin d'aucune bestiole, pas même une belette ou un ragondin. Un corbeau s'envola en croissant et elle s'immobilisa sur le sentier presque aussitôt. Son organe vital battait à tout rompre dans sa cage thoracique tandis qu'une vague d'appréhension l'envahissait.

Quelque chose clochait. Elle le ressentait par tous les pores de sa peau. Il y avait définitivement quelque chose qui se tramait. Edenn poursuivit son chemin, sur ses gardes, slalomant entre les larges troncs tout en se gardant de s'aventurer sous la clarté de l'astre. Son souffle s'élevait en une buée blanche dans l'air froid, preuve que son métabolisme s'accélérait. Les poils de ses bras se hérissaient, une peur sourde grimpait le long de sa colonne vertébrale ; elle avait un mauvais pressentiment.

Le prix de ton âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant