Le prix de ton âme

Chapitre trois

Chaque pleine lune, les peuples de l'obscurité se retrouvaient. Il s'agissait d'une sorte d'assemblée politique pouvant durer des heures, voire-même jusqu'au petit matin.

Ce soir-là, l'astre nocturne projetait des ombres inquiétantes sur les arbres, une lumière rouge irradiait la clairière où ils se tenaient tous, enveloppés de longs manteaux noirs. Certains portaient des masques de Pierrot, d'autres affichaient des sourires grimaçants, tous avaient le regard tourné vers un promontoire où s'asseyaient les anciens.

Ils se taisaient. Le silence pesait sur l'attroupement, aucun des membres n'osait prendre la parole. Chaque réunion débutait par cet instant de repos, une minute de réconciliation intérieure imposée par les shamans. Cette nuit était particulière : le satellite brillait d'un éclat malsain, aussi rouge que du sang frais. Tous en connaissaient la signification mais personne n'osait prononcer les paroles fatidiques.

- La lune de sang est là. Vous savez tous, goules et vampires, ce que cela implique : lors du prochain cycle, des obscurs évènements vont se produire. Et ça a déjà commencé.

Une voix rocailleuse sortie du tréfonds des ténèbres venait de percer la quiétude du moment. Déjà les premiers murmures retentirent partout dans la trouée : et pour cause, chacun était au courant des derniers incidents. Plusieurs cadavres avaient été retrouvés au bord de la rivière. Les décès remontaient à plusieurs jours, les abdomens lacérés par des griffes profondes, la carotide tranchée.

La scène avait horrifié la population et choqué les buveurs d'hémoglobines ainsi que les avaleurs d'âmes. L'œuvre de ces crimes était à n'en point douter l'un des leurs : aucun animal, aussi sauvage soit-il, ne pouvait abattre un mortel avec autant de barbarie.

Bien que cela ne soit pas la première fois que de tels actes se produisaient, jamais ils n'avaient été aussi monstrueux. Les habitants avaient aussitôt lancé un appel à témoins, des chasses avaient été organisées dans la forêt pour débusquer les coupables, sans succès.

Les chuchotements enflèrent encore et une silhouette se déplaça sur la droite. Son habit trainait sur le tapis de feuilles mortes, déchiré par endroit, une capuche enfoncée sur le crâne. Son visage se dissimulait sous un grime entièrement blanc, une mine sans expression. Cependant l'individu souriait. Le plateau de jeu se dressait clairement devant lui désormais. Il ne lui restait plus qu'à bouger les pions avec pour objectif : abattre le roi.

* * * *

- Tu brises encore l'heure du couvre-feu ?

Edenn fit volte-face en entendant l'intonation sèche de Yugyeom dans son dos. Il s'adossait contre le mur, bras croisés sur le torse, les sourcils froncés. Ses prunelles exprimaient une certaine colère, les rides de son front lui donnaient un air sévère qui ne lui ressemblaient pas. Elle grimaça à sa remarque, évidemment qu'elle brisait le couvre-feu, sinon elle ne serait pas en train d'enfiler ses chaussures pour filer en douce de la maison.

- Le jour où tu te feras tuer, tu penses que quelqu'un te pleurera ? demanda-t-il encore, acerbe.

- Yugyeom, s'il te plait, soupira la rousse sans arrêter de s'habiller.

- Il n'y a pas de s'il te plait, tu agis comme une enfant sans te soucier de ce que ton entourage peut penser. Quand arrêteras-tu de transgresser les règles ? Il faut que tu te mettes en danger de mort pour que tu réalises que ce n'est pas un jeu ?

Elle ne rétorqua aucune réplique cinglante, se contentant de lacer ses bottes et de boutonner son blouson. La jeune femme entendit son ami soupirer et c'est sur ce silence pesant qu'elle quitta la demeure familiale. Le soleil crépusculaire l'accueillit avec une caresse tiède et elle esquissa un pâle sourire. Elle s'engagea dans le chemin habituel, vagabondant entre la lumière de l'hélianthe et les premières ombres du déclin diurne.