Chapitre dix-sept

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– Je vais à la bibliothèque, je rentrerais au crépuscule.

– Attends répète ? Tu vas à la bibliothèque ? J'y crois pas.

Edenn lança un regard noir à Yugyeom après sa réflexion. Il éclata de rire, étalé sur le canapé, le chat sur son ventre. Certes elle ne se rendait pas souvent au centre de documentation mais ce n'était pas une raison pour se moquer ouvertement d'elle.

Je plaisante c'est bon, pas besoin de me regarder comme ça, marmonna son ami en renversant sa tête en arrière. Je préviendrais Ysabeau, mais fais quand même attention, rappelle-toi ce qui s'est passé la dernière fois que tu es sortie sans demander sa permission.

Il faisait allusion à la nuit où elle avait dérapé. Le jeune homme insistait sur ce point dès qu'elle sortait de la maison, même les jours où ils allaient en cours. Il semblait encore furieux contre elle mais ne le montrait pas et préférait jouer la carte des piques cachées plutôt que de redonner lieu à une dispute. Dispute qu'il savait inutile puisque la rousse n'écoutait rien ni personne.

Même si Ysabeau l'enfermait en haut d'une tour dans un cachot obscur afin de la préserver, Edenn trouverait le moyen de s'échapper et de regagner la liberté qu'elle chérissait tant. Plus têtue que la mangeuse d'âmes cela n'existait pas, il en était persuadé. Elle lui filait entre les doigts dès qu'il tentait de la raisonner ; les remontrances de leur tutrice n'arrangeaient rien, au contraire la situation empirait à chaque escapade.

Il était impuissant face à l'impulsivité et l'impétuosité de sa camarade, il craignait le jour où elle tomberait sur plus fort et malin qu'elle... Et il ne pourrait rien faire pour elle hormis la défendre et lui aussi y laisser des plumes. Parfois, Yugyeom se demandait si Edenn ne cherchait pas à se faire tuer. Depuis quelques temps du moins, elle paraissait troublée, plongée dans sa bulle sans qu'il parvienne à comprendre ce qu'elle pensait.

Eux qui vivaient au diapason, il avait l'impression que sa compagne s'éloignait de lui de jour en jour. Comme si leur cocon se désagrégeait petit à petit... En la voyant enfiler ses baskets, son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine. Elle était tout ce qui restait de son passé désormais. Si elle disparaissait, il serait seul pour affronter le monde.

Sans Edenn, Yugyeom redeviendrait le vagabond sauvage qu'il était avant de croiser sa route et celle d'Ysabeau. Il y a bien des lunes, l'écarlate avait redonné un sens à son existence moisie, l'avait tiré de son gouffre et mutuellement, ils s'étaient soutenus. S'il lui arrivait malheur, il s'en voudrait jusqu'à la fin de ses jours.

Fais attention, fit-il au moment où elle ouvrait la porte.

Je sais, je serais prudente. J'y vais en bus de toute façon, il y a trop de brouillard, répondit l'étudiante en lui souriant.

Il haussa les épaules, peu convaincu. Impossible de la retenir, surtout dans ces moments où elle agissait sur un coup de tête. Elle ferma le battant et prit la direction de l'arrêt de bus, mains enfoncées dans les poches de son pantalon. La sylve était plongée dans une brume opaque, renforçant encore l'atmosphère chimérique des lieux.

Le brouillard s'accrochait aux branches, les ramures ressemblaient à de longs doigts crochus qui cherchaient désespérément à attraper quelque chose. Elle avançait tête baissée, sa capuche rabattue sur le crâne sans regarder autour d'elle, concentrée sur ses pieds. La douleur à l'épaule était encore présent et elle faisait attention à ne pas faire de mouvements brusques pour ne pas rouvrir la plaie.

Les Sohei avaient développé leur artillerie. Par un procédé inconnu, ils avaient réussi à récolter de l'ADN des créatures afin de perfectionner leurs armes. Désormais, les blessures qu'ils infligeaient ne cicatrisaient plus aussi bien qu'avant et Edenn conserverait des séquelles de cette éraflure causée par balle. Elle avait ressassé cet affrontement des nuits durant, sans trouver le sommeil. Son corps réclamait du répits mais elle refusait de se reposer avant d'avoir trouvé les réponses à ses questions.

Le prix de ton âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant