Chapitre II

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- J'ai senti leurs cœurs battre !

- Et moi je les ai vu danser.

- Pfff, menteuse.

- Non, c'est vrai ! Arrête de dire ça !

- Je dis ce que je veux ! Et je sais que tu ne les as pas vus danser !

Je poussai un soupir. J'aimais mes sœurs, vraiment, mais elles passaient beaucoup trop de temps à se chamailler.

- Les filles, ça suffit, lançai-je de ma voix la plus calme.

- Ce n'est pas toi qui décides ! Crièrent-elles à l'unisson.

- Moi non, mais les clients doivent se régaler à vous écouter. Et ensuite, c'est possible que Nessimelle ait vu les arbres danser, ils le font souvent.

- Et toc ! Lança notre benjamine à l'intention d'Earine.

- Sauf que c'est impossible, répliqua celle-ci. Les arbres de la forêt de Grand'Peur se meurent.

Un silence mortel nous tomba dessus. La cuisinière émit bien un sifflement, mais il sembla qu'elle se ratatinait sous le regard noir que je lui lançai. Sans prononcer un mot, je me remis au travail, mes sœurs suivant mon exemple.

- Est-ce que les arbres de la forêt de Grand'Peur vont mourir ? Demanda Nessimelle. Je veux dire... Est-ce que c'est possible ?

Je me tournai vers ma petite sœur. Je savais qu'elle était très attachée aux arbres de l'orée de cette forêt.

- C'est possible. Mais ça n'arrivera pas, la rassurai-je.

- Comment peux-tu affirmer ça ? Répliqua Earine.

- Le roi Thranduil y veillera, répondis-je.

Elle commençait à m'énerver.

- Ah, parce que tu l'as déjà vu, ce gus-là ? Railla-t-elle.

- Précisément.

Earine haussa un sourcil, cessant de couper les légumes comme elle le faisait il y a quelques instants, Nessimelle esquissa un sourire.

- Menteuse, siffla Earine en plissant les yeux.

- Si, c'est vrai, répondis-je. Tu étais toute petite, Nessi n'était pas encore née. Je l'avais simplement aperçu de loin quand nous avions traversé sa forêt.

Les lèvres d'Earine s'étirèrent dans un sourire, je sentis le coin des miennes frémir. Pourquoi n'avais-je aucune volonté face au sourire espiègle de ma sœur ?

- Ooouh, Finwë a vu le roooooi ! Fit-elle en roulant les yeux.

- Arrêtes de m'appeler comme ça, grognai-je.

Ma sœur gloussa, entraînant avec elle notre benjamine. Bon, au moins elles avaient cessé de se disputer.

- Non, vraiment, reprit Earine. Tu as vraiment vu le roi ? Truc d'huile-là ?

- Earine ! M'écriai-je. Un peu de respect, je te pris !

Peine perdue, ma sœur resterait toujours ma sœur. Elle m'adressa une nouvelle fois son sourire malicieux. Je m'apprêtai à quitter rageusement la pièce lorsque Maura passa la tête par la porte.

- Dites donc les filles, j'ai des clients qui s'impatientent !

- Ça arrive tout de suite ! La rassura aussitôt Nessimelle en rajoutant des herbes aromatiques à sa préparation.

Maura, qui avait un faible pour les yeux bleus de ma petite sœur, fondit aussitôt.

- Ça a l'air délicieux, ma chérie, roucoula-t-elle.

J'échangeai un regard amusé avec Earine. Maura quitta la pièce, nous laissant seules. Nessi se mit aussitôt à chantonner, nous entraînant avec elle. Earine frappait contre sa planche à découper en rythme, Nessimelle touillait sa préparation en cognant le bord de la marmite avec un "bong !" humide. Et moi, je chantai. Peu de chances qu'on nous entende depuis la salle principale, avec tous les bruits de la cuisine et ceux de conversations.

Earine tournoya dans la cuisine, sa robe se déployant autour d'elle, avant de verser les légumes dans la soupe qu'elle préparait, sur la pointe des pieds. Sans que je ne sache vraiment comment, nous nous retrouvâmes à danser en frappant des pieds et des mains. Nos robes brunes embellissaient nos mouvements, Nessimelle semblait parfois tournoyer au ralenti, comme si le temps s'était arrêté. Earine utilisait les ustensiles de cuisine comme instruments de musique, nous faisant beaucoup rire. Elle imitait une danseuse sacrée des livres d'histoires, faisant mine d'adorer notre plus grosse marmite. Le balai devint mon partenaire de danse et un fouet, un violon sous les doigts de Nessi.

J'ignore combien de temps nous passâmes à danser et à chanter à toutes forces comme des folles, mais toujours est-il que cela nous fit un bien fou. Bon, d'accord, le gigot avait un tout petit peu brûlé, Nessimelle avait répandu des épices dans ses cheveux et j'avais malencontreusement mis un peu de soupe sur le mur, mais ça nous était égal.

Des moments comme ceux-ci valaient toutes les cuisines du monde.

Publié le 27 mars 2019

Trois paires d'yeux... BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant